jeudi 17 octobre 2013

Antoine et sa valise

Dans une valise, on ne peut y mettre un génie, bon ou mauvais. Celle-là, pourtant, devait avoir un contenu magique, pour la simple raison qu’elle était restée close pendant des décennies. Qui l’avait montée au grenier, et quand ? A en juger par son apparence, elle datait d’avant la guerre, peut-être même la première. Ses parois, métalliques, étaient couvertes d’un carton qui avait sans doute des couleurs vives, alors ; elle était à présent d’un vert sale, à l’instar des affaires que des générations avaient entassées dans le grenier où on l’avait oubliée, parce qu’on ne sait jamais… Mais voilà, les années passent et nul ne pense aux trésors oubliés. Au lieu de rafraîchir une robe, de retailler un costume, on en achète des neufs qui finiront aussi là-haut. C’est si vrai qu’on en finit par oublier ces témoins de notre passé au point, si par bonheur un jour nous les ressortons, ,de ne pas même nous rappeler les avoir possédés. Certains, pourtant, évoquent des jours bien précis. Et si, à mes yeux, cette valise dénuée de valeur ne représentait rien, quand ma mère l’aperçut, elle s’écria :

-          Oh ! La valise d’Antoine !

Antoine, c’était son frère, de trois ans plus âgé, qui était mort au front. Ainsi qu’il arrive souvent de ceux qui s’en vont dans la fleur de l’âge, ses proches l’avaient paré de toutes les vertus. S’il avait vécu, c’est sûr, il aurait fini professeur au Collège de France, à l’Académie Française et pourquoi pas au Panthéon. Il n’était pas question de mettre en doute ce dogme. Antoine avait du génie, puisqu’il n’était plus.

A la vue de la valise qui avait appartenu à un frère aimé mort trop jeune, maman n’a pu retenir une larme qui a coulé jusqu’au menton. Nous étions tous les quatre dans le salon, mes deux sœurs, elle et moi. Aucun de nous n’osait ouvrir la valise ; on s’en tenait éloigné, de crainte d’accomplir un sacrilège. Le soir, nous sommes partis nous coucher sans avoir tenté d’aller voir ce qui s’y trouvait. En pleine nuit, un grincement m’éveilla. Je me levai sans bruit et descendis sur la pointe des pieds l’escalier de la maison. Je ne m’étais pas trompé : la lumière, dans le salon, trahissait une présence. J’ai poussé la porte en douceur.

-          Marc ! S’écria Lucienne.

Elle était descendue en chemise de nuit et essayait cde manœuvrer les serrures. Celles-ci résistaient.

-          Tu n’as pas honte ? C’est à Maman de le faire ! Lui objectai-je Elle me jeta un regard où régnait la mauvaise conscience.

-          Je n’en pouvais plus. Il faut savoir ce qu’il y a dedans.

Je renonçai à la critiquer davantage. J’avais trop envie moi aussi de connaître le contenu de ce bagage.

-          Attends, lui dis-je, on va prendre quelques outils pour forcer les serrures.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Un tournevis, une paire de pinces. Fébriles, nous avons soulevé le loquet en forçant le mécanisme. Une odeur de moisi s’échappa. Sur le dessus, un short et deux paires de chaussettes. C’était décevant, après cette attente. Un gros paquet, lourd, se trouvait au fond. Enveloppé dans un drap, nous avons découvert un exemplaire relié d’un roman de Jules Verne : De la Terre à la Lune.

-          Tu crois que c’est un Hetzel ? Demanda Lucienne.

-          Ca ne ressemble pas. On dirait plutôt une édition à bon marché.

Le matin, nous avons dû avouer notre forfait à Maman et à Suzanne, notre autre sœur. Maman s’écria :

-          Ca, c’est une chance ! C’est le volume qui manquait à la collection de votre père !

les pailles de mon oeil


 

Je me prépare avec soin pour rencontrer Sylvie. Je sais qu’il me faut vingt-cinq minutes pour parcourir le chemin jusqu’à notre lieu de rendez-vous. Je suis prêt à partir une demi-heure avant et franchis le seuil de la maison ? Alors, je me rappelle que j’ai oublié d’enfermer le chien dans la cuisine. Je passe quelque temps à le chercher, parviens enfin à l’amener où je vaux et ferme la porte. Vite, je n’ai plus un instant à perdre. A peine sorti, je pense soudain que j’ai oublié de fermer le gaz. Je reviens en courant. Le téléphone sonne. Je ne résiste pas à la curiosité de savoir qui m’appelle. C’est peut-être Sylvie, d’ailleurs. Mais non, c’est Jean-Claude qui me raconte une histoire interminable totalement dénuée d’intérêt. Je devrais l’interrompre, mais je n’ose pas. Dix minutes après, je raccroche, ferme à nouveau la porte et me glisse dans l’auto. Mais je suis si énervé que j’ai un accrochage sur la route.

Et comme toujours, j’arrive en retard, trop tard.

 

 

Petit garçon, je passais des journées entières à rêver. Ma sœur disait d’un ton méprisant : rêvasser. Je vivais dans des univers créés exprès pour moi, par moi. Le théorème de Pythagore ou celui de Thalès, je m’en battais l’œil. Je rêvais à la mer, au soleil, à l’avenir merveilleux qui m’attendait, et au diable les leçons et devoirs !

 

 
J’avais, dès le début, mal commencé dans la vie. De nombreuses maladies avaient fait de moi un enfant chétif. Dès mon arrivée à l’école, je collectionnais les punitions et n’avais pas de rival pour la place de dernier. Quand je commençais dans une place, plus tard, j’avais le don pour exaspérer mes chefs et monter contre moi mes collègues. Même si je n’étais pas à l’origine de tous, on m’accusait dès que se produisait un incident. Partions-nous en voyage, la voiture tombait en panne. Le jour de mon mariage, j’ai perdu les alliances. L’autre  jour encore, au banquet de communion de mon neveu, j’ai renversé la table en me levant. Douze verres et sept assiettes, plus la tante Agathe qui s’est retrouvée avec le couteau planté dans la cuisse

dimanche 13 octobre 2013

mon territoire

Mon territoire, c’est un petit coin perdu dans la galaxie, un endroit improbable sur la planète Terre. Point n’est besoin pour s’y rendre de prendre l’avion, pas même le train. Quelques tours de roue, et nous y voilà. On gare l’auto au sortir du village, sans même verrouiller les portières : qui viendrait dans ce coin tranquille avec des intentions prédatrices ? On franchit la grille pour avancer dans l’allée centrale. Tout est agencé, avec à chaque emplacement le nom de l’occupant. Des fleurs, des plaques, parfois des photos, des croix décorent ces petits lopins de terre. Chaque famille a installé là des symboles de l’affection qu’elles portent au cher disparu.

Allée C, numéro 27. C’est une case encore vide, ni dalle, ni stèle, des herbes folles poussent en liberté et se penchent sous le vent. La terre paraît légère, comme s’il fallait juste quelques coups de bêche pour creuser mon ultime demeure. J’ai réservé mon territoire ; je paye chaque année la redevance et viens m’y recueillir de temps à autre. Si mes enfants ne manifestent pas plus d’intérêt que moi pour les cimetières, mieux vaut en effet que je me charge, de mon vivant, des visites qu’ils repousseront d’année en année. J’aime à imaginer qu’ils feront pousser des cyclamens, fleurs que j’aime pour leur fragilité, leurs teintes nuancées mais aussi pour leur nom qui me rappelle le vélo. Et puis, je serais content qu’au milieu, on installe une plaque avec mon épitaphe. A force, je l’ai choisie : que sa mort soit aussi heureuse que sa vie.

C’est promis : l’année prochaine, je m’en irai promener  au cimetière avec me petite fille, Rose. Je ne lui dirai pas à quoi est destiné ce lieu. J’espère qu’elle en gardera le souvenir après ma mort et y reviendra d’un cœur léger pour évoquer les moments joyeux passés ensemble.

mardi 17 septembre 2013

chrétien malgré tout

cela m'agace un peu de reconnaître la marque profonde que m'a laissée mon éducation. L'autre jour, j'ai entendu un passage de l'évangile de Saint Matthieu qui m'a ému aux larmes. Voici le texte :

« Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres :
il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ;
j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi !'
Alors les justes lui répondront : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu...? tu avais donc faim, et nous t'avons nourri ? tu avais soif, et nous t'avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t'avons accueilli ? tu étais nu, et nous t'avons habillé ?
tu étais malade ou en prison... Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ?'
Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.'
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : 'Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges.
Car j'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'avais soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ;
j'étais un étranger, et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.'
Alors ils répondront, eux aussi : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?'
Il leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.'
Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »


Ce passage de l'Evangile, je vis avec même si je ne lui suis pas toujours fidèle. A cause de lui, grâce à lui, je ne serai pas de ceux qui excluent, qui ferment leur porte, je ne soutiendrai jamais les misérables qui se barricadent et ne défendent que leurs petites personnes sans voir qu'en s'ouvrant aux autres, on accède à un bonheur plus grand. Je ne serai jamais du parti de ceux qui crient : dehors les étrangers, parce qu'on m'a appris qu'il fallait ouvrir son cœur.
 
Me dira-t-on, je choisis dans les textes ceux qui me plaisent. C'est vrai : on trouve, dans les évangiles et plus encore dans l'ancien Testament des passages d'une violence inouïe, de véritables appels au meurtre. Je revendique le droit à choisir, dans mon héritage, ce qui me plaît le plus.

mercredi 11 septembre 2013

ordonnance




 
[Votre nom]
Le Moulin des rêves
75033 Le Père Lachaise
 
 
 
 

11 septembre 2013




 

 

M. Patient Lelecteur

Quelque part en France

Planète Terre

Galaxie : voie lactée

Prescription en cas d’insomnie :

Lire une page chaque soir et s’efforcer d’en comprendre le sens.

En cas de difficulté résistante, relire le texte plusieurs fois, essayer à voix haute : si ça ne vous fait pas dormir, gageons que la personne qui partage votre lit en éprouvera du soulagement.

 

 

Signé : illisible

 

Conseil de l’éditeur : ne pas dépasser la dose prescrite.

lundi 9 septembre 2013

Marions-les

Quand, il y a quelques années, des associations de gays ont parlé de pouvoir se marier, je n’y croyais pas. J’avais tort, puisque plusieurs pays autour du nôtre, de tradition catholique comme nous, avaient légalisé le mariage pour des personnes de même sexe sans que cela déclenche une émeute. En France, pays de controverses s’il en est, le sujet était de nature à provoquer des affrontements, verbaux du moins.

Sur le fond, cette question ne me concerne pas. Je trouvais pourtant dérangeant qu’on modifie ainsi par la loi l’institution familiale. J’ai connu il y a quarante ans une femme qui vivait avec une autre et était parvenue, grâce aux relations de sa puissante famille, à adopter un enfant. Était-il traumatisé, marqué à vie d’infamie ? J’ai peine à le croire. Mais le modèle traditionnel : père-mère-enfants restait pour moi la norme. Le développement massif des divorces m’amenait à voir différemment la cellule familiale. Pourtant, le père vivait en général avec une femme, pas toujours la mère de ses enfants, et celle-ci reconstituait aussi un noyau homme-femme pour élever les enfants. On avait du moins des substituts de familles traditionnelles, des reconstructions au sein desquelles on pouvait penser que l’enfant retrouvait un équilibre de pouvoirs et d’affections propice à sa croissance.

Tout cela, il est vrai, reposait sur une image du couple harmonieuse et on sait que c’est rarement le cas. Les liens entre un homme et une femme qui vivent ensemble se dégradent le plus souvent, ils se transforment au gré des difficultés, des concessions moins bien supportées à mesure que le temps passe. Il est de ce fait utopique de prétendre qu’un couple hétérosexuel offre un havre de paix et d’équilibre incomparable. A y regarder de près, nombreux sont les enfants qui ont grandi dans une atmosphère de querelles, parfois de haine. Es pères ont des liens incestueux avec leurs enfants, d’autres les battent. Dans certains pays, des parents prostituent leurs filles et leurs fils dès leur plus jeune âge. L’image du couple supposé former un cocon idéal pour la formation des jeunes en prend un coup. A tout prendre, j’aurais préféré être élevé par deux femmes – ou deux hommes – qui m’aiment plutôt que par un couple qui se déchire à cause de moi.

Tout de même, officialiser ce qui, il n’y a pas si longtemps, passait pour une anomalie ou une déviation, il me fallait l’accepter. Je me rappelle au début des années 80, au moment de l’apparition du virus du SIDA, que des revues médicales expliquaient sérieusement l’homosexualité par l’immaturité, une mère abusive ou la peur de l’autre. Autant de propos qu’on n’oserait pas tenir aujourd’hui.

J’en étais donc là de mes réflexions quand le gouvernement, fidèle en cela aux engagements du candidat Hollande, a présenté au parlement son projet de loi. Je ne me sentais pas d’humeur à exprimer haut et fort mon désaccord avec ce projet. J’étais vaguement contre, en ayant bien conscience que cette opposition, toute molle qu’elle fût, me rangeait au rang des réactionnaires.

C’est alors que quelques excités ont déclenché une campagne vigoureuse contre le mariage homosexuel, appelé à tort mariage pour tous. Rien qu’à voir les chefs des insurgés, mais aussi leurs troupes, je n’ai pas été long à choisir mon camp. Madame Barjot qui, il n’y a pas si longtemps, chantait : « fais-moi l’amour avec deux doigts », voilà une curieuse d’égérie pour les tenants de la morale traditionnelle. Boutin, Villiers, tout le gratin du conservatisme le plus absolu. Les manifestants dans leur ensemble, jeunes et moins jeunes issus des écoles confessionnelles, les ligues de celles et ceux qui préfèrent la charité à la justice. Pas un instant, je n’ai pensé rejoindre leurs rangs, même si, sur le fond, j’étais sensible à leurs arguments, en partie du moins. Mais ils étaient exprimés en des termes pour moi insupportables, ils reflétaient tant la bonne conscience et l’aveuglement des leurs thuriféraires que j’ai aussitôt su de quel bord je n’étais pas.

Sans compter sue la droite n’avait pas été prise en traître. Hollande avait promis de le faire une fois élu. L a gagné les élections, il tient cet engagement e pouvoir de la rue au détriment des urnes, on sait ce que cela donne. D’autres gouvernements ont reculé sous sa pression, de gauche comme de droite et cela à mes yeux relève d’un souci de démagogie sans plus.

Les combats d’arrière-garde des « veilleurs » qui espèrent faire durer leur action jusqu’au prochain changement de majorité et qu’alors on abolira la loi scélérate paraissent voués à l’échec. Si l’on voulait rendre à la famille sa vertu d’origine, il faudrait avant tout revenir sur l’instauration du divorce, programme difficile à soutenir aujourd’hui.

Il est permis de se demander comment une infime minorité de femmes et d’hommes – on parle de 1% de la population – est parvenue à soutenir et faire adopter une telle mesure. Le pouvoir financier de Pierre Bergé, le jeu des lobbies ? L’appel à la victimisation a porté, sans aucun doute et les adversaires du projet ont tenté à leur tour de faire passer les hétéros pour des victimes d’un ostracisme d’un nouvel ordre, avatar du front national qui crie au racisme à son encontre.

Le « combat » des opposants au mariage homosexuel a cristallisé la coupure de la société entre les tolérants et les extrémistes. Ils ont choisi leur camp. Je choisis le mien.

 

vendredi 6 septembre 2013

C'était bien, chez Lorette

                    

Je me rendais en un lieu improbable du nom de Roche Saint Secret Béconne. Franchement, à quoi ça rime, un nom pareil ! C’est dans la Drôme, un peu au Sud de Dieulefit. Encore un bled affublé d’un patronyme connotant. Pour m’y rendre, depuis ma campagne reculée, j’avais en gros le choix entre deux solutions : l’automobile ou le train. Si je prenais le volant, mes spécialistes de l’Internet me promettaient sept heures de trajet aller, soixante euros de carburant et quarante de péage. Une journée et cent euros dans chaque sens. Le train me semblait, sinon plus rapide, du moins meilleur marché. De plus, j’ai un penchant certain pour les voyages à côté de passagers, par chance de passagères, écrire, lire, bavarder. J’ai donc opté pour cette solution. Mais à l’aller, il me fallait changer à la Part-Dieu, gare centrale de Lyon, prendre un deuxième train pour Le Teil et de là, un autocar pour Montélimar. Alors, mais alors seulement, mes aimables hôtes m’ont promis de venir me chercher.

Donc, pour prendre le train de huit heures trente, je devais quitter le domicile une heure avant et ne pouvais espérer parvenir à mon objectif final avant 18h 30. Ce temps paraît long, mais s’explique par le changement à Lyon, où me sont offertes cent vingt minutes d’attente. L’heure du déjeuner n’étant pas complètement passée, j’en ai profité pour manger une andouillette et des frites, une salade composée et un morceau de camembert, le tout arrosé d’un quart de bordeaux et d’un café. A Lyon, même les snacks en libre-service proposent une nourriture plaisante. Ayant achevé mes agapes, m’est venue l’envie de soulager ma vessie. Je veille à emporter avec moi mon portefeuille et mon téléphone et laisse mon sac au pied de la table que j’occupais. De retour, plus rien. J‘ai pourtant pris garde d’abréger le temps de ma miction. C’est alors que je prends conscience de la situation : mon billet de train et toutes les indications pour rejoindre Roche  Saint Secret Béconne se trouvaient dans mon sac, avec mon ordinateur, mon carnet de rendez-vous, mon répertoire, etc. Téléphoner chez moi ne me serait d’aucune utilité. Je me résous à alerter le petit commissariat de la gare, un endroit propret, accueillant sans doute quand un représentant de l’ordre tient la permanence. Il est pourtant deux heures et  demie : personne. Je me rappelle soudain la date ; nous sommes le quinze août ; les policiers ont dû se rendre à un service religieux. Alors, plein de fiel et de dépit, je prends un billet pour rentrer à la maison.

 

·          

·                 *

 

Un  con,  un vrai con. Je l’observais depuis un sacré bout de temps et m’attendais à le voir oublier son portable au restaurant, peut-être même ses chaussures. Je n’ai pas été déçu du voyage : il s’est levé pour aller aux cabinets en laissant toutes ses affaires. Quel imprudent ! Des gens mal intentionnés auraient pu les lui voler. Par bonheur, c’est moi qui me trouvais là. Vite fait, j’ai enfilé les lanières et escamoté le sac à dos. Pas si mal, d’ailleurs. Sur les quais de Saône, j’en tirerai bien vingt euros. Assez vite, j’ai quitté les parages pour un coin plus tranquille.

Ce con, figurez-vous qu’il m’a fait cadeau de son billet de train et qu’il a noté sur son agenda toutes les informations pour rejoindre un atelier d’écriture. On dirait que ce gogo a même payé d’avance. Je vais me faire passer pour lui et on va rigoler.

Je monte dans le train. Mon billet – je m’entends – indique comme destination Le Teil. Je n’avais pas entendu parler de ce bled, mais bon, je ne vais pas faire le difficile. De là, un bus doit me permettre de rallier Montélimar. Pas de bol, on me demande deux euros, cinquante quand j’en ai juste huit en poche. On n’a rien sans rien. Je paye, bien que ce ne soit pas dans mes habitudes. A la gare de Montélimar, un homme ni jeune ni vieux m’attend en tenant une pancarte : Atelier Lorette Nobécourt. Pile poil, c’est pour moi. Je monte dans son carrosse sous le nom d’Armel Bazin. Y a mieux, comme blaze, mais y a pire. On roule une cinquantaine de kilomètres sur des routes sinueuses, dans un pays accidenté, sous le cagnard qui cogne drôlement. Et bien sûr, la tire, elle fait pas air conditionné. Rouler fenêtres ouvertes, il y a de quoi choper une fluxion de poitrine.

On arrive enfin à destination ; un coin plutôt chouette. La plume, ça paie, pas à dire ! C’est vrai que la Lorette, elle bosse des heures sup’ avec ses ateliers. A peine mes bagages défaits – ce qui me permet de découvrir des fringues comme je croyais pas que ça se faisait encore – je vais piquer une tête dans la piscine. Là, heureuse surprise : tout autour se trouvent, allongées au soleil, cinq femmes magnifiques qui me saluent d’un :

-          Bienvenue, Armel !

Qui me fait chaud au cœur. Des rondeurs partout, jusque dans leurs paroles. Y a pas à dire, la vie, c’est pas toujours une tartine de merde ! Je réponds de mon plus beau sourire et d’un ample geste de la main dans lequel je mets toute la majesté dont je suis capable. Oh ! J’en vois une sixième. Je ne l’avais pas remarquée du premier abord parce qu’elle barbotte au milieu de l’eau et souvent dessous. Il ne m’est pas permis d’examiner en détail son anatomie, mais gageons qu’elle vaut les autres. Quelques brasses, et je la rejoins, histoire de nouer connaissance.

Pas à dire, ces nanas, elles sont cools. Et elles m’ont à la bonne. On dirait qu’en dehors du chauffeur, ne se trouve aucun autre représentant du genre masculin. A moi, la belle vie !

Lorette, c’est celle qui se baigne avec moi, me dit :

-          Dis-donc, t’es drôlement jeune !

On ne me prend pas facilement au dépourvu. Je réplique :

-          J’ai voulu vous faire une surprise.

Après le bain, dîner. Là, ça s’est un peu corsé, parce que certaines ont voulu échanger avec moi.

-          Guyotat, tu connais ?

-          Assez mal, je dois l’avouer. Tu en as emporté un avec toi ?

Heureusement, elle n’en avait pas. Une grande blonde m’a demandé :

-          Tu as lu le dernier Tripiak ? Encore un nom qui ne me disait rien.

-          Et toi ?

Bien vu. Elle s’est lancée dans un blabla incompréhensible, on aurait dit de l’araméen primitif, toute contente de me faire partager son point de vue sur cet écrivain promis sans aucun doute possible à un grand avenir.

-          Ce que j’aime en lui, c’est qu’il aborde des sujets intimes, difficiles, répugnants et qu’on en redemande.

-          T’as tapé dans le mille, que je lui fais en écarquillant les mirettes. On peut dire qu’il est hypermoderne.

Ce mot-là, je l’avais entendu un jour que je m’étais gouré avec l’autoradio. Je voulais écouter « les routiers sont sympas » et je suis tombé sur « le masque et la plume ». Ca fait rien, c’était bien trouvé et en situation. Au dîner, on a parlé des meilleures tables, de la région d’abord, puis de proche en proche à Lyon, à Marseille. On devait être arrivé à Manille quand j’ai entendu :

-          Oh ! Le pauvre ! Il ronfle ! Après un voyage pareil, il doit être fatigué.

Et tout le monde est allé se coucher sans histoires. Pour la première fois de ma vie, j’ai dormi dans un pyjama. Intéressant, comme expérience. Le matin, j’ai marché sur des œufs. La Lorette, elle nous a demandés :

-          Faites la liste des dix objets qui ont le plus compté dans votre vie.

J’ai pas eu de mal pour les premiers : un billet de cinq cents balles, la Harley de Mimi, mon vieux Chevignon, la patte de lapin de papa, mon verre à bière… Après, pas grave, j’ai inventé : une gourmette avec mes initiales, un T-shirt qu’on a dit qu’il avait appartenu au King, une culotte de Madonna, et pour finir, j’ai ajouté pour faire plus intellectuel : les œuvres complètes de Paul-Loup Sulitzer et le petit vin blanc par André Verschuren. Chacun a lu sa liste. Elles faisaient une drôle de tronche quand ça a été mon tour. Elisabeth, une petite brune, toute ronde et toute frisée qui me couve du regard, s’est écriée :

-          Sacré Armel, il a le don de nous faire des niches !

Alors, tout le monde a ri. Lorette a repris :

-          Même chose pour les dix personnes qui nous ont le plus marqués.

J’avais commencé, mieux valait continuer. Après Maman, of course, il y a eu Dédé et Fifi, avec qui je braquais les flippers du quartier, et puis le père Desthuiles, le con qui surveillait les HLM chez nous.. Toujours entre deux ou trois vins, un mot pour un autre, toujours à nous gueuler après. J’ai ajouté la Marie-R’née qui tenait une écurie dans la rue voisine. Rien qu’des pouliches de premier choix. C’est chez elle que je l’ai perdu, mon berlingue. Et l’adjudant Babord, un gros nullard à moustaches qui n’a jamais réussi à me coincer. On l’avait surnommé comma ça parce qu’il nous faisait penser au capitaine Haddock. C’est son chef, le lieutenant Müller qui m’a épinglé une nuit, alors que je venais de faire mes emplettes au Super-U. J’avais encore mon caddy plein et les débris de la porte en verre gisaient sur le sol. Trois mois ferme, ça m’a valu. Au trou, j’ai été présenté à Bébert la trique, qui voulait me faire tâter de la sienne. Pour y échapper, j’ai passé un deal avec lui : je faisais entrer en cabane toute la came dont il avait besoin par mon débarbot. Tiens, celui-là aussi, c’était un drôle. Tout ce qui l’intéressait, lui, c’était de trouver des débouchés pour le crack et la blanche. Ça tombait bien. A la fin, pour m’amuser, j’ai ajouté à la liste le pape et le Dalaï-Lama. Elles se demandaient si c’était du lard ou du cochon.

La matinée était finie. Quelques longueurs, quelques largeurs dans la flotte et madame est servie. La bouffe était à la hauteur du lieu et de ses habitantes. Et le jaja, un Côtes du Rhône Gigondas pas piqué des hannetons. Après, pour pas nous user trop les méninges, un petit coup de sieste. Pour ça, j’étais au niveau.

C’est alors que les athéniens s’atteignirent. Lorette, elle a pris nos noms, nos objets fétiches aussi, elle a découpé des listes et a rempli deux chapeaux. Chacune et chacun (moi) a tiré un papier dans un chapeau, puis dans l’autre. Et hardi petit, il fallait raconter une histoire.

Moi, je suis tombé sur un Jean-Ferdinand. La notice précisait : il a été mon premier amour, mon premier amant. Et pour l’objet, j’étais gâté : une brosse à cheveux. Alors j’ai écrit :

Jean-Ferdinand avait le pubis comme une brosse à cheveux. Il m’a sauté dessus. Aie ! Que j’ai fait, tu me piques !

C’est tout ce que j’ai réussi à pondre. Elles, je les voyais noircir des pages entières, l’air inspiré. Moi, je me disais : qu’est-ce qu’on peut foutre avec une brosse à cheveux ? Se carrer le manche dans le derrière, je veux bien, mais c’est pas très poli j’avais peur de choquer une aussi délicate compagnie. Vaillamment, j’ai tenu le coup les trois jours. Elles se sont résignées. Hedwige, une grande rousse excentrique de partout, a suggéré :

-          Il n’a pas la quantité, mais la qualité y est.

J’étais sauvé. Elles m’ont promu grand maître de l’école minimale. Une phrase suffisait chaque demi-journée et quand j’étais en forme, j’allais jusqu’à deux. Les filles m’aimaient bien ; elles trouvaient que je jouais le rôle d’une muse, les inspirant dans leurs créations. On se serait cru dans les femmes savantes : dis plutôt qu’il est notre museau, ma chère ! j’étais la coqueluche de ces dames. C’est à midi, le troisième jour, que les choses se sont vraiment compliquées.

-          Pour le règlement, je vous ai préparé vos notes

-          Quel règlement, j’ai murmuré, un rien naïf ?

-          Ben, vous savez bien, l’hébergement.

Ça ressemblait à un coup de Trafalgar. Il fallait que je paye deux cent cinquante-cinq euros, et pas moyen d’y couper, vu que pour sortir de là, j’avais besoin du chauffeur. Il ne me restait plus que l’après-midi pour trouver comment m’en sortir. J’ai eu l’idée de solliciter Elisabeth, la petite boulotte qui m’a poursuivi de ses assiduités tout au long du stage et que j’ai laissé gentiment faire sans pousser mon avantage, pour rien, juste parce que j’aime qu’on m’aime. Après le déjeuner, on avait de nouveau sieste. Je me suis faufilé dans les coursives et ai frappé doucement à sa porte.

-          Je n’ai pas mis la clé, entrez, m’a-t-elle crié.

J’ai obtempéré. Elle gisait en bikini sur son lit et, d’une voix rauque, m’a supplié :

-          Viens me rejoindre, mon amour.

Tu parles que j’ai pas hésité ; je lui ai peloté les seins et ai commencé à fourrager dans son slip quand elle m’a demandé :

-          Prends-moi par derrière !

J’y tenais, à mes deux cent cinquante-cinq euros. Bravement, je suis monté à l’assaut et, ma foi, j’y ai trouvé mon compte. Comme elle paraissait satisfaite de mes services, j’ai glissé :

-          J’ai oublié mon carnet de chèques. Tu voudrais pas m’avancer le fric ?

Elle m’a regardé, déçue.

-          Je me doutais d’un coup comme ça.

Pourtant, elle a saisi son carnet de chèques et en a rempli un, sans ordre, qu’elle m’a tendu.

-          Je ne te demande qu’une chose : reprends-moi par derrière.

Quand on me parle gentiment, je sais faire preuve de reconnaissance. Et puis, les rondeurs harmonieuses de ma partenaire avaient réveillé mes ardeurs. Derechef, j’ai sonné la charge.

Au beau milieu du déduit, Elisabeth m’a fait face, au risque de me blesser dans le mouvement tournant et m’a dit :

-          Bienvenue au club, chéri !

J’étais tombé sur un os.



samedi 31 août 2013

deuzaïkus pour lezamis

j'ai testé pour vous
coucher avec un homo
mais c'est douloureux

j'ai aussi testé
coucher avec une homo
et là, c'était mieux

jeudi 29 août 2013

religion, foi et morale (2)


Religion,  foi et morale (2)

 

Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, il est bon de nous affranchir des idées reçues, surtout de celles qui nous viennent de nos parents.  Il est facile en effet, il est « normal », de partages les croyances de celles et ceux qui nous ont conçus, mis au monde et éduqués. Vouloir penser autrement, essayer d’avoir un regard nouveau sur ce que nos parents nous ont appris comme naturel et ce qui doit être, voilà qui est difficile et nous expose au reproche de renier nos origines. C’est donc plus facile de hurler avec les loups que de tenter l’objectivité, juste une fois, pour voir. 

Alors, faisons comme si ma formation catholique pouvait être oubliée, ce qui, bien sûr, relève de l’utopie. Si j’avais le choix, quelle croyance choisirais-je ? J’ai envie de dire : aucune, parce que je discerne trop leurs pesanteurs, le système paralysant dans lequel les religions prétendent nous enfermer. Car le poids des morales qui les accompagnent rend les religions insupportables. La religion fournit un ensemble plus ou moins cohérent de dogmes et de préceptes qui a pour résultat, sinon pour objet, de conditionner hommes et femmes, garantir leur docilité et les maintenir dans une saine dépendance. Sauf rares exceptions, les religions sont bien vues des dirigeants en ce qu’elles incitent humains à la résignation et promettent pour l’au-delà le bien-être inaccessible ici-bas.

Ce qui suscite ma curiosité porte sur le lien qui paraît systématique entre religion et morale. Sans doute existe-t-il, chez les fondateurs d’une religion, un sentiment de pureté, un élan. Très vite, elle devient une sorte de lien (qui est d’ailleurs l’étymologie du mot) à l’intérieur d’un groupe social et édicte des préceptes qui régissent les comportements des adeptes. Par quel processus mystérieux cela est-il possible ?

Examinons les textes.

Le Notre Père, base des croyances chrétiennes et des mouvements qui s’y rattachent.

Notre Père qui es aux cieux. Voilà un début qui n’engage qu’à croire

Que ton Nom soit sanctifié, que ton Règne vienne. Pareil : rien de plus que la foi n’est demandé aux fidèles.

Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Ici, on voit apparaître un commencement de contrainte : la volonté de Dieu peut se révéler entraîner des obligations comportementales pour moi.

Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. Pour le coup, on a l’impression qu’il s’agit d’une requête sans contrepartie.

Pardonne-nous nos offenses comme nous les pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Cette fois, cela suppose un effort de notre part ; le pardon des offenses.

Et ne nous soumets pas à la tentation : c’est Dieu qui doit nous épargner la tentation, du moins l’en prions-nous.

Mais délivre-nous du mal, amen. Même remarque.

On voit que dans ce texte essentiel ne comporte guère d’obligations : une soumission à la volonté divine et le pardon des offenses. Bien sûr il est permis de penser que se soumettre à la volonté de Dieu entraîne une kyrielle d’obligations et que les préceptes moraux des religions chrétiennes, surtout catholique, en découlent naturellement. Mais nous sommes influencés par des siècles d’église triomphante et de règles accumulées dont on n’arrive pas à se libérer. Saint Augustin a écrit quelque part : aime et fais ce que tu voudras. Avec les injonctions de tous ordres sur la vie sexuelle, les interdits en tous genres, nous voilà loin de la pureté d’origine.

En dehors de sa fonction sociale et politique, éminemment conservatrice, ce qui ne veut pas dire forcément néfaste, le fait religieux trouve son fondement dans les questions que l’homme se pose et à quoi il ne trouve pas la réponse. On fait alors appel au sacré, au spirituel, au magique pour expliquer la course des astres dans le ciel, l’origine des maladies ou plus généralement la cause de ce qui nous est hostile, nous nuit, nous détruit. Ainsi, le champ des religions s’est trouvé de plus en plus restreint, en Occident du moins. Ainsi, les religions vieillissent et meurent. Certaines plus vite que d’autres.

L’homme a créé Dieu pour répondre à ses angoisses existentielles, se consoler de mourir et justifier l’organisation de la société. Nous vivons aujourd’hui une époque sans précédent dans laquelle la majorité prétend pouvoir se passer de croyance en une puissance supérieure. Il ne manquait pas de charme de  se prosterner et de dire : Seigneur, mon destin est entre tes mains. C’était même beau. Affirmer que nous sommes les principaux responsables de ce qui nous arrive ne manque pas de grandeur : Le devenir de l’homme abandonné seul face à ses problèmes existentiels manque de sécurité. Nous avons tué Dieu. En quelque sorte, nous devons en payer le prix.

 

 

 

 

                                                                                                                                     

mardi 27 août 2013

religion, foi et morale

une religion, c'est une vision de l'existence totale, un regard sur tous les problèmes de la vie basé sur une croyance qui ne relève pas de la raison. Credo quia absurdum. Est-il plus absurde de croire en un Dieu créateur et tout puissant que les hypothèses de la science? Je ne sais. L'ennui, c'est qu'on dispose d'une bonne douzaine de religions et que chacune apporte des réponses définitives à nos angoisses. La recherche scientifique, elle aussi, foisonne de théories qui sont successivement adoptées par les savants. Leur différence d'avec les convictions religieuses, c'est qu'une hypothèse sur l'origine du monde nous en dit peu sur comment nous devons nous comporter.
Et c'est là qu'intervient la morale. On pourrait imaginer une religion qui ne demande à ses thuriféraires que la foi. Pourquoi donc la plupart d'entre elles adjoignent-elles à leur théorie de base sur la création et l'immortalité de l'âme un ensemble de règles de conduite, au point que souvent l'observateur ne voit plus qu'elles?
Dans l'histoire de l'humanité, du moins la part que nous en connaissons, les religions ont tenté d'imposer leurs vues et d'éliminer la concurrence. L'exemple le plus éloquent concerne l'église catholique qui a voulu éliminer toutes les autres croyances à l'époque où elle disposait de la toute puissance.. Les choses sont à la vérité un peu plus complexes. Il est permis de penser que même si une religion parvient à demeurer la seule, dans le cœur des hommes subsistera une place pour le doute et la contestation.
l'Islam d'aujourd'hui ressemble, par le comportement de nombre de ses chefs, à l'église catholique du passé. L'intolérance et la volonté de conquête ont changé de camp. L'Infâme de Voltaire, à présent, c'est Allah.
SI cela vous intéresse, je me propose de poursuivre cette réflexion dans un autre article.

vendredi 19 juillet 2013

travail d'atelier


De bon matin

J’ouvre l’œil, encore dans mon rêve. Elle avait répondu à mes avances. J’étais si bien. Pourquoi donc le camion poubelle est-il passé à ce moment ? D’abord, j’ai essayé de me rendormir pour retrouver les bras qui m’entouraient, le sein ferme sous ma main. En vain.

J’ai glissé les pieds dans mes pantoufles et, me tenant à la rampe, suis descendu jusqu’à la cuisine. Le plus souvent, je me concocte un café en poudre auquel j’adjoins un nuage de lait. J’ai grand besoin ce matin d’un plaisir plus fort. Je prends une dosette de Nespresso, l’introduis dans la machine que je mets en marche. D’abord, elle chauffe. La lumière cesse de clignoter  et j’appuie sur le déclencheur. Un moteur électrique démarre alors et juste après me parvient aux narines le fumet incomparable du café, du vrai café. Je me rends souvent aux Etats-Unis, où ce breuvage brille par son insipidité, et bénis la marque préconisée par George Clooney car on peut se faire livrer les dosettes, là-bas, et prendre un véritable plaisir à cet instant. L’odeur si familière du café m’amène à revivre des moments que cette boisson a accompagnés.

Une légère fumée monte de la tasse et me rappelle l’époque où j’allumais une cigarette pour accompagner mon petit-déjeuner. J’ai envie soudain de tirer une bouffée, d’exhaler les vapeurs du tabac qui me plaisaient tant et provoquaient des quintes de toux à cause desquelles j’ai un jour décidé de m’arrêter. Je rejette courageusement la tentation et approche les lèvres du bord de la tasse. C’est bon et ça brûle en même temps. J’ai renoncé au sucre voici une trentaine d’années et à présent, les rares fois où je prends un café sucré, je déteste cet arrière-goût douceâtre. La tasse, quand je la repose sur la soucoupe, la heurte un peu et j’entends le bruit qui semble énorme dans le silence de la cuisine. Qu’il est dur, le petit bruit de l’œuf dur cassé sur le comptoir d’étain. La petite poésie de Prévert me revient alors ; je souris : une journée qui commence par un poème ne saurait rien apporter de mauvais. Terminée ma boisson, je balance : vais-je m’en préparer un second ? J’ai appris avec le temps que me refuser des plaisirs à ma portée peut me procurer une subtile jouissance. Je sais de plus que recommencer dans la foulée ne m’apporte pas les mêmes sensations légères, quasi amoureuses que la première fois. Mieux vaut laisser passer quelques heures.

La porte s’ouvre :

-          Tiens, tu es déjà descendu ? Demande ma femme.


 

Chère Maman

Des bruits, d’abord, celui des casseroles qui s’entrechoquent, la cuiller en bois qui heurte les parois, l’eau qui coule du robinet, la soupe qui bout à gros bouillons, Maman qui marche de son pas pesant de la table à l’évier, puis au fourneau. Je m’étonne moi-même de ce que les premières sensations qui me reviennent lorsque j’évoque la cuisine de mon enfance ne relèvent pas du goût ou de l’odorat. Et puis soudain une voix forte qui demande : Grégoire, c’est toi ? Oui, c’était moi qui me préparais à la retrouver à la tâche, tremblant de devoir lui annoncer la punition donnée par l’institutrice, punition supposée me guérir de ma paresse. Dans le même temps, comme c’était bon de pénétrer dans cette pièce chaude, de sentir les poireaux qui parfumaient le potage et l’arôme plus discret du gâteau dans le four.

Elle ne passait pas ses journées à préparer les repas, Maman. Je crois même qu’elle n’aimait guère les tâches ménagères et n’y sacrifiait qu’en toute dernière extrémité. Il lui arrivait pourtant dans les grandes occasions, d’enfiler sur son gros ventre un tablier de toile, de nouer ses cheveux et de rester des heures dans la cuisine. Papa ne rentrait qu’assez tard et dînait sur le pouce, pressé de repartir à de mystérieuses réunions. Je ne suis pas sûr qu’il remarquait la peine qu’elle avait prise depuis le matin. Ces jours-là, sans qu’une occasion particulière justifiât qu’elle nous offrît un festin, elle dressait la table dans la salle à manger, sortait une nappe damassée et les couverts en argent, les verres de cristal et les assiettes qu’elle avait héritées d’une tante. Tout au plus remarquait-il « Tiens, on ne dîne pas dans la cuisine, aujourd’hui ! » avant d’engloutir les mets raffinés où elle avait mis tout son amour.
Un tel soir, je devais annoncer que j’étais collé tout le jeudi – le lendemain – et j’attendais Dieu sait quoi pour passer à confesse. Je m’étais enfin lancé précipitamment en entendant dans la serrure la clé de mon père.

-          Ne lui dis rien, avait murmuré Maman. Je signerai ta punition.

Et je compris qu’elle ne voulait pas gâcher cette soirée de fête. Elle salua Papa dès son entrée d’un :

-          J’espère que tu ne repars pas, ce soir.

Il grogna une réponse indistincte. Nous nous mîmes à table et par miracle, Papa annonça :

-          Je viens d’être augmenté. On va pouvoir acheter la quatre-chevaux.
Alors, pour une fois, un bonheur éphémère entra chez nous.


 

L’asperge de Buckingham

 

-          Tu aimes les œufs à la coque, toi ?

-          Ben oui, j’ai bien le droit, quand même !

-          Enfin, c’est nul, les œufs à la coque. Au Grand Véfour ou à Buckingham, on n’en sert jamais !

-          M’en fous ! J’aime ça. Surtout quand tu les ouvres d’un coup sec. A propos, t’es aussi un grosboutien ?

-          J’ai même pas fait attention, et puis tu sais, je n’en mange que faute de mieux.

-          Tu ne sais pas ce que tu perds. Tu casses la coquille, soulèves la calotte et tu saupoudre de sel et de poivre.

-          Oui, oui, tu vas pas m’expliquer comment on les mange ?

-          Attends, le mieux, c’est au printemps. Tu passes au marché avant de rentrer et tu achètes une botte d’asperges que tu fais cuire à la vapeur. C’est très important, la vapeur !

-          T’es vraiment con, tu sais !

-          Quand elles sont cuites, tu les prends par l’extrémité blanche, la tige, et tu plonges la tête dans le jaune d’œuf.

-          Ca alors ! Et tu crois que c’est toi qui l’as inventé ?

-          C’est tout comme. Quand tu manges des pointes d’asperges au jaune d’œuf, tu t’en fous si c’est toi ou pas qui as découvert la recette. C’est le paradis, un point c’est tout ;

-          Un malade ! T’es un vrai malade.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Armel Bazin, Tours le 19 juillet 2013