samedi 18 octobre 2014

Pascal

La manif pour tous – un nom bien trouvé, je le reconnais - provoque chez moi une répulsion irraisonnée. Les slogans, la bonne conscience, jusqu’à l’habillement de ses tenants me hérisse. Pourtant, je suis de culture bourgeoise, bien pensante, de race blanche, français de souche, j’ai toutes les caractéristiques des conservateurs bon teint. Et si je me dis que ces derniers oublient trop souvent de réfléchir, se fiant à leur réaction instinctive sans jamais remettre en cause leurs valeurs, je sais aussi combien les enseignements reçus dès le plus jeune âge façonnent de manière indélébile ce que nous croyons et ce que nous sommes. D’où vient donc que je ne ressens pas les événements de l’actualité comme mes pairs ? Sur ce point en particulier, je m’étonne de ma réaction si viscérale alors qu’en approfondissant ma position, je ne suis pas très loin de partager l’hostilité des jeunes braillards au mariage homosexuel, qui est, qu’on le veuille ou non, l’acceptation d’une nouvelle forme de vie en commun, et par là un bouleversement de la structure de la société. Il me dérange, et si je suis disposé à admettre que me déranger n’est pas une raison suffisante pour empêcher cette évolution, je n’en demeure pas moins troublé. Sur le fond, donc, je comprends et partage les réticences des manifestants. Pour autant, je n’irai pas défiler avec eux et leurs hurlements me révulsent, comme le font d’ailleurs les gay pride. Le sujet me semble mériter mieux que cela.

J’en suis arrivé à me remettre en question : comment j’ai les opinions que j’affiche aujourd’hui ? La plupart des hommes et des femmes de mon âge et de ma condition se retrouvent dans un attachement  extrême au passé, à ses valeurs mais aussi à l’organisation qu’ils ont connue et appréciée ‘du moins en gardent-ils un souvenir parfois embelli). Je ne partage pas cette vision nostalgique de notre situation. Par exemple, la famille, pour les miens, doit rester ce qu’ils en ont connu. Mais je trouve que le divorce était un bouleversement plus grand que le mariage homosexuel, et il est aujourd’hui, volens nolens, accepté part tous. Je comprendrais que ces conservateurs nous proposent l’abolition de cette mesure qui a détruit la famille sacrée. Mais ça, c’est une autre histoire. Je me flatte, devant les sujets qui se présentent, de me faire une idée par moi-même, mais je sais que je suis sensible à des influences. Comment donc me suis-je soustrait à celle de mon milieu ?

Il y a sans doute des raisons à cela qui viennent de mon caractère. Comme on dit en Analyse transactionnelle, l’enfant rebelle occupe une bonne part de ma personnalité. Je me suis construit en partie en opposition à l’enseignement que j’ai reçu. Sans doute parce que cet enseignement ne me convenait pas ou simplement parce qu’il m’a été donné d’une manière maladroite. Je me rappelle, il y a longtemps, avoir été révolté en entendant ma mère mentir, pour des vétilles ou pour des choses plus graves. Elle tenait des discours dont elle se persuadait et je voyais que c’était faux. Beaucoup d’enfants n’y auraient pas prêté attention, et mes sœurs ne semblent pas avoir souffert de la fâcheuse habitude qu’avait notre mère à réécrire la réalité pour la faire s’accorder avec ses croyances. Il se peut que j’ai tort de penser qu’elle a amené une mise en doute de tous ses propos. D’autres causes y ont contribué.

Enfant, j’avais tendance à partager les croyances de mes parents et de mes maîtres, non sans constater qu’elles ne s’accordaient pas toujours entre elles. J’ai pourtant vite été troublé lorsque je me suis rendu compte que des millions d’êtres humains ne les partageaient pas. L’existence d’autres religions de par le monde m’a amené à me demander pour quelle raison ma foi serait plus valable que celle d’un musulman, un juif, un hindouiste, un communiste ou un adorateur de Zeus. D’ailleurs le fait que les religions meurent m’a aussi fait réfléchir. Présenter le catalogue de nos références comme un absolu m’a vite semblé abusif. J’ai été encouragé dans cette voie par la lecture des Pensées de Pascal : vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Le plus curieux est que Pascal lui-même nourrissait un sentiment religieux très fort. Lorsque j’ai découvert de grand esprit, j’ai eu la révélation qu’il annonçait les philosophes du XVIII° siècle. Mon professeur de français, à qui je m’en ouvrais, trouvait au contraire que Voltaire et Diderot s’étaient posés comme des adversaires de Pascal. Il n’empêche : je persiste à dire qu’il a mis le doigt sur la relativité spatiale et temporelle des idéologies.

J’ai toujours affirmé que ma liberté de penser, fût-ce en dissidence d’avec mon entourage, venait de moi et de moi seul. Un peu orgueilleux, me semble-t-il. J’aime à me croire plus libre que celles et ceux qui ne remettent pas en cause leur héritage.  Les conservateurs souffrent à mes yeux de courte vue : le monde change, qu’on le veuille ou non, et vouloir le figer à tout jamais relève de l’utopie. A tout prendre, je comprends mieux les rétrogrades, ceux qui souhaitent un retour à un passé, qu’ils idéalisent le plus souvent. Certes, il ne convient pas pour autant d’applaudir à toutes les idées nouvelles. Le difficile tient à cela. Par exemple, les progrès de la médecine rendent possibles des modes de reproduction naguère impossibles à imaginer. Cela, nous ne pouvons le nier. Est-ce un bien ? Je ne suis pas sûr que cette question ait un sens. Est-ce un bien que le léopard dévore la gazelle, que le volcan ait anéanti Pompéi, par exemple ? La nature de l’homme fait qu’il a conscience de ses actes, et de ce fait a besoin de juger de leur vertu. Je ne suis pas certain que cela ait un sens.

Les humains ont érigé des lois dont la seule justification est d’organiser la vie commune le moins mal possible. Les règles qui président à notre vie publique ont bien changé au fil des siècles. Le paterfamilias avait droit de vie et de mort sur sa maisonnée, ce qui nous paraît barbare. Il n’empêche que la société a fonctionné sur ces bases pendant des millénaires. Notre conception de la morale ne date guère. Au nom de quoi voudrait-on immortaliser les principes actuels ?

Et puis, simplement, j’aime bien me dire que je suis plus réfléchi que la majorité de mes contemporains. Ca me fait du bien à l’égo.