dimanche 29 mars 2015

coucou

quand il fait beau et que la santé va, je sais que Dieu existe. Il est par malheur parfois aux abonnés absents. Un dieu à éclipse, voilà qui est poétique, non?

mardi 24 mars 2015

Il faut laisser Lucie faire

Mon Dieu ! Comme elle était gentille, Lucie ! Elle approchait les quatre-vingt cinq ans, et après avoir élevé sept enfants, elle avait servi de nounou à huit de ses petits-enfants ; une vie qu’elle avait consacré aux autres et en apparence il ne lui en avait pas coûté.

Qui la voyait pour la première fois n’avait aucun mal  à imaginer combien elle avait été belle. Derrière ses rides et au-delà de ses cheveux blancs, de ses seins rabougris et de sa silhouette sans forme, on voyait aussitôt la grâce et la jeunesse, sans qu’elle ait besoin de se forcer. On lui avait prêté de nombreux amants et elle s’était amusée à laisser courir ces légendes.

Elle avait tant aimé ses descendants qu’il ne se passait pas un seul jour que l’un ou l’une d’entre eux fasse un détour pour passer avec elle un bon moment. Luc, son arrière-petit-fils, y venait plus d’une fois par semaine. Il allait sur ses quinze ans et adorait quand Lucie racontait comment, pendant la guerre, elle jouait au chat et à la souris avec les allemands. Ou que sa mère l’envoyait au lavoir le jeudi. Ou encore les jeux dans la cour de l’école, la marelle et l’élastique.
Un jour qu’elle se sentait vraiment en confiance, elle dit à son arrière-petit-fils :

-          Je voudrais te demander quelque chose, mais il faut que ça reste entre toi et moi.

-          Ben voyons, pas de prob’, Mémé Lucie.

Il était libre dans ses propos, beau comme un Apollon. Elle sourit et, forte de son encouragement, poursuivit :

-          Il y a des tas de choses que je n’ai pas eu le temps, ou l’argent, de faire : visiter l’Île de Pâques ou déjeuner à Beaumanières. Mais je vais te dire : ça ne me manque pas. Au lieu de ça, je me suis occupée de vous et ça, c’était le bonheur. Votre amour vaut mieux que mille voyages, mille repas, mille bouteilles de vin fin. Tu vas rire : il y a quelque chose que j’aimerais bien connaître avant de vous quitter. Tu sais quoi ?

Ce disant, elle arborait un sourire énigmatique, comme si elle préparait une bonne blague. IL dit juste :

-          Ben, non.

Il faut dire que le Luc, s’il avait de grandes qualités de cœur, manquait d’imagination. Et puis ,le moyen, pour un adolescent, d’enfiler les chaussures d’une vieille dame ! Pourtant, sa curiosité avait été éveillée.

-          Alors, c’est quoi ?

Elle s’approcha de lui pour lui murmurer à l’oreille :

-          Je voudrais fumer mon premier pétard.

Pour Luc, qui pourtant ne s’étonnait pas facilement, ce fut un coup de tonnerre. Il regarda Lucie d’un air dubitatif.

-          C’est pas vrai !

Elle se ferma, car elle craignait d’avoir été mal entendue. Elle se disait qu’elle avait présumé de la liberté du garçon.

-          Tant pis, n’en parlons plus, dit-elle à regret.

Il saisit alors le cocasse de la situation et, pour le coup, eut conscience que c’était lui, le vieux.

-          Mémé Lucie, tu vas peut-être avoir du mal à me croire, mais j’ai jamais fumé de shit. T’en fais pas,  j’ai des copains qui connaissent.

Et trois jours plus tard, il s’approchait de la maison de Lucie, cachant dans son cartable l’objet du désir de son ancêtre. Ils filèrent dans le salon, s’assirent devant la cheminée. Il alluma le pétard, puis le lui passa. On aurait dit qu’ils sacrifiaient à quelque rite sacré.

-          C’est comme le calumet de la paix, rigola-t-il.

Elle tira quelques bouffées, toussa, pleura un peu, le lui rendit. Il n’avait pas vraiment envie de fumer un joint. Il se força néanmoins pour partager avec elle le plaisir défendu.

Bravement, ils allèrent jusqu’au bout.

-          Finalement, conclut-elle, ce n’était pas si terrible.

Et longtemps, il se demanda ce qu’elle entendait par là.

Recyclage


 
Qu’il soit de porcelaine ou de terre ou  bien d’ambre,
Il est trop délaissé, le pauvre pot de chambre !
Il s’écrie : c’est un vrai manque de pot,
J’aurais pu naître éléphant ou chapeau,
Ou j’aurais pu orner un pied de ballerine,
Il fallait que je serve à recueillir l’urine !
Je vous fais grâce enfin de la constipation,
Des péteurs acharnés, des jets à réaction,
Moi qui aurais aimé – où avais-je la tête ?
Vivre comme un esthète.
Et le pire aujourd’hui est qu’on m’a oublié
Avec de vieux rideaux dans le fond d’un grenier.
Déjà, quand je servais, cela manquait de grâce
D’être toujours celui auprès de qui l’on passe
Et sur qui on s’assied lorsque vient le besoin.
Certes, je n’étais pas l’objet de tous les soins,
Mais j’avais mon utilité, quoi qu’on en dise.
Lorsqu’on venait à moi quand la nuit était grise ;
On rêvait quelquefois, on me parlait tout bas,
En croyant bien à tort que je n’entendais pas.
Combien vous m’avez fait de tendres confidences
Quand vous veniez vous soulager après la danse.
J’entendais vos émois entre deux pets sonores,
Mais personne à présent, personne ne m’honore.
Ah ! Je rêve d’un jour où un preux chevalier
D’un geste aventureux viendra me réveiller.

Ou peut-être un beau jour, un malin antiquaire
Astiquera mes flancs, m’emmènera pour faire
Le beau, porte de Clignancourt. Ah ! Quel bonheur !
Je servirai peut-être alors de pot de fleurs.

lundi 16 mars 2015

beaucoup de bruit pourquoi?


Armel Bazin                                                                                                                                                                                                                                   Le 16 mars 2015

Le Moulin de la Vallière

37380 Reugny

 

 

Madame,

J’ai reçu dernièrement une sollicitation de l’association « la manif pour tous » accompagnée d’une lettre signée par vous qui a retenu mon attention. La fameuse loi dite Taubira m’a en effet rendu perplexe. Je ne voyais pas pourquoi la bonne conscience de quelques milliers de citoyens entraînait la modification de notre code civil. J’aurais de ce fait été tenté de soutenir ceux qui la combattent s’il n’y avait eu cette « manif pour tous » qui traînait autour d’elle je ne sais quel parfum délétère. La première militante contre le mariage homosexuel, madame deux doigts, s’était pour la circonstance métamorphosée de nymphomane en dame patronnesse. Vous êtes mieux dans le rôle de la conservatrice attachée à la structure passée de la société, particulée par surcroît, une parfaite représentante de votre classe sociale.

On sent dans vos arguments des relents de rejet, voire de haine, envers celles et ceux qui vivent différemment. Les homophobes ont fait bien du tort à votre cause. Je ne saurais en aucun cas mêler mes gestes, mes propos et mon argent à ceux des porteurs de mépris et de haine. Me direz-vous, rien dans vos propos ne sous-entend pas ces sentiments déplaisants. Vous conviendrez avec moi que l’exclusion et le rejet font partie de l’arsenal de vos soutiens. S’il m’est difficile d’accepter le mariage homosexuel, je préfère encore cette voie à la solution, peu chrétienne à mon sens, de ceux qui veulent le maintien des règles discriminatoires.

Que la loi Taubira trouve son accomplissement dans l’acceptation de la PMA et de la GPA, c’est sans doute le cas. Vos amis proclamaient que plutôt que d’avorter, il fallait développer des structures d’accueil pour les enfants non désirés. N’est-ce pas un peu semblable : ces enfants nés sans père, sans mère, ou avec trop de pères ou de mères, peut-être faut-il les aimer avant tout. Votre discours sur les enfants heureux avec un père et une mère ne me convainc pas. Je connais un peu les gens « de bonne famille », assez pour savoir combien ils ont peur de tout changement. Alors, je me secoue pour échapper à la part de mon éducation rigide et frileuse. Ce n’est pas toujours facile, croyez-le. Il est souvent plus confortable de se draper dans ses certitudes et de refuser d’ouvrir les yeux ou de réfléchir.

Pardonnez, madame, ma lettre un peu polémique. Je me demande pourquoi une femme jeune et jolie, sur le berceau de laquelle les bonnes fées se sont sans doute penchées, se lance dans une telle aventure. Pourquoi s’en prendre aux homosexuels plutôt que défendre les femmes battues ou les enfants martyrs, voire les immigrés chassés par tous. Quelle blessure, quelle assurance d’être dans son droit, quelle morgue ?

Je vous présente, madame, mes hommages respectueux.

Armel Bazin

dimanche 15 mars 2015

Marple is not Marble



La malade qui raconte mes aventures semble penser que je demeure insensible à tout. Elle ignore, cette mal baisée, que moi aussi j’ai des émois, que je ne reste pas indifférente aux charmes des vieux messieurs et parfois même à ceux d’hommes plus alertes. Tenez, l’autre jour, je me trouvais à Sainte Mary Mead, à côté du superintendant Jones. Quel beau garçon, celui-là ! Il porte l’uniforme avec une prestance inouïe. Je me tenais à côté de lui sans rien oser dire. Quand il parlait, j’en étais remuée au tréfonds de mon être. Je sentais palpiter mes viscères et en oubliais toute décence. Madame Simpson, la femme du major, que tout accusait, m’a regardée avec des yeux inquisiteurs, comme s’ elle n’avait jamais été amoureuse. Jones, pourtant, n’a pas, je crois, encore atteint la quarantaine. Ses moustaches se dressent pour un oui ou pour un non, et j’imagine que tout son être est à ce moment saisi d’une vigueur nouvelle. Ma poitrine, ma grosse poitrine que la plupart des gens imaginent paisible et inerte, se durcit soudain et les tétons se dressent, me causant un vif désarroi, tant je redoute qu’on remarque autour de moi le trouble dans lequel je me confonds.

Jones ouvre la bouche et livre à l’assistance ses conclusions. Chaque mot de lui me fait frissonner, j’aime la tonalité de sa voix, ses suaves modulations ; j’aime sa retenue, la pudeur de ses sentiments. On a beau me faire passer pour une vieille fille ménopausée, je tressaille à chacune de ses inflexions. Il ne jette pas sur moi un seul regard mais je sais bien que c’est pour m’épargner la honte de voir ainsi livrées à la foule indigne des inclinaisons dont la délicatesse ne saurait être comprise du vulgaire. Il ne me regarde pas un instant, mais je sais qu’il ne pense qu’à moi. Quand il dit à Lady Bracknell : Vous avez des choses à me dire, je sais bien qu’en réalité il s’adresse à moi. Et comme lui aussi, par jeu, a renoncé à me parler directement, je n’ai pas répondu à son invite pour pressante qu’elle fût. Les battements de mon cœur devaient à cet instant atteindre une intensité telle qu’il ne pouvait les ignorer. D’ailleurs, j’ai vu ses joues se couvrir soudain d’un rose vif, qui m’a évoqué aussitôt l’étal de Marks, notre boucher. Ses yeux se brouillaient, sa main tremblait.

Jones, vous êtes mien, lui disais-je en silence, et j’entendais qans qu’il s’exprime le superintendant me répondre : oui, miss Marple, je suis vôtre. J’aime votre présence chaude près de moi, votre parfum, j’aime l’arrondi de vos joues et de vos hanches, j’aime vos seins généreux, j’aime ce qu’on devine de votre intimité inviolée. Miss Marple, je vous veux mienne. Venez me rejoindre au commissariat. Je vous prendrai dans mon bureau, sur mon bureau. Nous connaitrons tous deux une extase que les humains ordinaires ignorent. Daisie chérie(c’est mon deuxième prénom), jamais avec nulle autre je n’ai rencontré pareille harmonie, nous allons enfin partager le plaisir absolu et vivre dans le bonheur.

Alors, je me sentis légère. Les années disparaissaient. J’avais vingt ans, tout m’était possible. Je jetai à Lady Bracknell un regard méprisant : vile créature, vous ignorez ce qu’aimer veut dire. Moi seule connaît le secret de ce moment d’exception. Nous n’appartenons pas à la même race. Je me sentais pour l’heure l’égale des dieux. Jones continuait à parler et chacun de ses mots me conduisait au paradis bien que mes transes m’interdissent d’en percevoir le sens.

Combien de temps dura mon extase, je ne saurais le dire. Tout à coup, j’entendis « Eh ! Bien, Miss Marple, qu’avez-vous à ajouter ? » Je repris conscience et la réalité me parut bien terne. J’étais assise dans le salon du major, un vieux militaire engoncé dans sa fatuité, ,dont la femme, de vingt ans plus jeune, était soupçonnée d’avoir empoisonné la femme du pasteur. Lady Bracknell, une aristocrate acariâtre ridicule qui dirigeait en fait la paroisse, l’avait surprise dans les bras du prélat. Par parenthèse, je tiens à préciser que ce dernier n’avait guère d’atout pour prétendre au titre de Mr Sainte Mary Mead. Il fallait que la femme du major eût bien des insatisfactions conjugales pour se consoler avec l’ecclésiastique.

J’avais des doutes quant à la culpabilité de la femme du major. Je la regardai au fond des yeux pour lui demander :

-          Mais comment pouvez-vous aimer un tel avorton ?

Elle répondit avec les intonations de l’innocence :

-          Mais enfin, je ne l’aime pas ; je ne l’ai jamais aimé !

Lady Bracknell, drapée dans son autorité naturelle, lui jeta :

-          Je vous ai pourtant vue dans ses bras !

La pauvre femme se mit à pleurer, preuve de son innocence. C’est alors que le pasteur, resté muet jusqu’alors, prit la parole :

-          C’est vrai qu’elle n’a pas répondu à mes avances.

Des exclamations fusèrent :

-          Mais alors, qui l’a tuée ?

-          Ce n’est pas possible !

-          Oh ! La pauvre !

Sans qu’on sût jamais de qui il s’agissait. Lady Bracknell, plus noble que jamais, nous avoua alors l’incroyable vérité :

-          Eh ! Bien, c’est moi qui ai tué l’exécrable femme du pasteur. Elle ne voulait pas accorder à son mari la liberté de m’épouser.

Là, je dois le dire, je suis restée comme deux ronds de flan.