De prime abord, je n’imaginais pas son existence ; je
séjournais depuis pas mal de temps dans mon nid douillet. Je n’avais nul besoin
du monde extérieur. Existait-il seulement ? Ne discernant aucune issue,
trouvant dans ma prison tout ce dont j’avais besoin pour subsister, quelle idée
saugrenue m’aurait donc traversé l’esprit de m’intéresser à autre chose ?
Mon logement était chauffé, aussi, et j’entendais des voix,
un peu à la manière des illuminés. D’où venaient-elles ? Impossible de le
dire. J’aurais bien dû me douter qu’existait, au-delà de mon univers à vrai
dire restreint des lieux, des personnes. Je ne m’en souciais pas. Le bonheur
tiède et chaud dont je jouissais alors me comblait pleinement. Les voix, les
chants, la musique qui me parvenaient à travers les cloisons appartenaient à
cet univers de rêve.
En réalité – mais je ne l’ai appris que bien plus tard
- je vivais dans une poche remplie d’un
liquide d’une température agréable, sans respirer un peu comme un têtard.
J’étais nourri sans avoir à le demander, et même si cela semble farfelu ou
incroyable à mes lecteurs, par le nombril. Celui qui m’a fabriqué s’est sans
doute inspiré des avions avitailleurs. Je sentais bien quand tout bougeait, les
murs, le sol, le plafond, et je devais parfois me contorsionner pour m’adapter
à une nouvelle configuration. Régulièrement, c’était le silence et l’immobilité
et j’en profitais pour m’assoupir et me reposer de la fatigue qu’engendrait ma
croissance.
Parce que je grandissais. J’aurais dû anticiper l’ouverture
de cette fichue porte. Même si, à vrai dire, j’étais un peu à l’étroit dans
cette chambre close, je m’y trouvais si
bien que je ne cherchais à m’en échapper. Un jour, sans l’avoir cherché, je le
jure, je me suis retrouvé tête en bas. C’était curieux, mais pas déplaisant.
J’avais aussi changé de place et sentais derrière la paroi, autour de mes
tempes, un objet dur. Alors, tout s’est précipité. La cloison qui me protégeait
s’est déchirée ; pour la première fois, j’ai aperçu la porte, ma première
porte. Au début, ce n’était qu’une toute
petite ouverture circulaire par laquelle j’apercevais une vive lumière. Passer
par là ? Vous n’y pensez pas. La voix qui m’accompagnait depuis plusieurs
mois poussait à présent des cris plutôt inquiétants. Une autre voix, plus
calme, disait tout le temps : « Poussez, poussez,
respirez ! » sans que je sache si ces conseils m’étaient adressés.
Pousser, oui, mais quoi ? Et puis, respirer, moi, je voulais bien, mais
même si le liquide dans lequel je baignais naguère s’était répandu à,
l’extérieur, l’air ne me parvenait pas encore assez. Alors, pour la première
fois, j’ai eu envie de sortir. L’instinct de survie, disent les spécialistes. M’arcboutant,
j’ai poussé, en effet, la tête pour agrandir la porte et elle a bientôt atteint
la taille d’un hublot.
J’étais peiné de causer tant de souffrances à ma porte, ce
que je comprenais aux hurlements qu’elle émettait. Je me disais qu’elle était
faite pour laisser entrer et sortir des objets de bien moindre diamètre. Il
fallait pourtant que j’y passe. D’une
brusque détente, ma tête a franchi le seuil. Le reste a suivi sans difficulté
et, au contact de l’air, j’ai à mon tour poussé un vagissement tonitruant.
Cette lumière, ce froid, l’air qui brûle les poumons, tout me faisait regretter
le confort antérieur.
Après avoir éjecté ce qui avait naguère constitué ma
demeure, la porte s’est refermée, m’interdisant tout retour au paradis.
Ah ! Les salauds ! Si c’est comme ça, je vais leur en faire
baver !