mardi 17 septembre 2013

chrétien malgré tout

cela m'agace un peu de reconnaître la marque profonde que m'a laissée mon éducation. L'autre jour, j'ai entendu un passage de l'évangile de Saint Matthieu qui m'a ému aux larmes. Voici le texte :

« Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres :
il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ;
j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi !'
Alors les justes lui répondront : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu...? tu avais donc faim, et nous t'avons nourri ? tu avais soif, et nous t'avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t'avons accueilli ? tu étais nu, et nous t'avons habillé ?
tu étais malade ou en prison... Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ?'
Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.'
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : 'Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges.
Car j'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'avais soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ;
j'étais un étranger, et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.'
Alors ils répondront, eux aussi : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?'
Il leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.'
Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »


Ce passage de l'Evangile, je vis avec même si je ne lui suis pas toujours fidèle. A cause de lui, grâce à lui, je ne serai pas de ceux qui excluent, qui ferment leur porte, je ne soutiendrai jamais les misérables qui se barricadent et ne défendent que leurs petites personnes sans voir qu'en s'ouvrant aux autres, on accède à un bonheur plus grand. Je ne serai jamais du parti de ceux qui crient : dehors les étrangers, parce qu'on m'a appris qu'il fallait ouvrir son cœur.
 
Me dira-t-on, je choisis dans les textes ceux qui me plaisent. C'est vrai : on trouve, dans les évangiles et plus encore dans l'ancien Testament des passages d'une violence inouïe, de véritables appels au meurtre. Je revendique le droit à choisir, dans mon héritage, ce qui me plaît le plus.

mercredi 11 septembre 2013

ordonnance




 
[Votre nom]
Le Moulin des rêves
75033 Le Père Lachaise
 
 
 
 

11 septembre 2013




 

 

M. Patient Lelecteur

Quelque part en France

Planète Terre

Galaxie : voie lactée

Prescription en cas d’insomnie :

Lire une page chaque soir et s’efforcer d’en comprendre le sens.

En cas de difficulté résistante, relire le texte plusieurs fois, essayer à voix haute : si ça ne vous fait pas dormir, gageons que la personne qui partage votre lit en éprouvera du soulagement.

 

 

Signé : illisible

 

Conseil de l’éditeur : ne pas dépasser la dose prescrite.

lundi 9 septembre 2013

Marions-les

Quand, il y a quelques années, des associations de gays ont parlé de pouvoir se marier, je n’y croyais pas. J’avais tort, puisque plusieurs pays autour du nôtre, de tradition catholique comme nous, avaient légalisé le mariage pour des personnes de même sexe sans que cela déclenche une émeute. En France, pays de controverses s’il en est, le sujet était de nature à provoquer des affrontements, verbaux du moins.

Sur le fond, cette question ne me concerne pas. Je trouvais pourtant dérangeant qu’on modifie ainsi par la loi l’institution familiale. J’ai connu il y a quarante ans une femme qui vivait avec une autre et était parvenue, grâce aux relations de sa puissante famille, à adopter un enfant. Était-il traumatisé, marqué à vie d’infamie ? J’ai peine à le croire. Mais le modèle traditionnel : père-mère-enfants restait pour moi la norme. Le développement massif des divorces m’amenait à voir différemment la cellule familiale. Pourtant, le père vivait en général avec une femme, pas toujours la mère de ses enfants, et celle-ci reconstituait aussi un noyau homme-femme pour élever les enfants. On avait du moins des substituts de familles traditionnelles, des reconstructions au sein desquelles on pouvait penser que l’enfant retrouvait un équilibre de pouvoirs et d’affections propice à sa croissance.

Tout cela, il est vrai, reposait sur une image du couple harmonieuse et on sait que c’est rarement le cas. Les liens entre un homme et une femme qui vivent ensemble se dégradent le plus souvent, ils se transforment au gré des difficultés, des concessions moins bien supportées à mesure que le temps passe. Il est de ce fait utopique de prétendre qu’un couple hétérosexuel offre un havre de paix et d’équilibre incomparable. A y regarder de près, nombreux sont les enfants qui ont grandi dans une atmosphère de querelles, parfois de haine. Es pères ont des liens incestueux avec leurs enfants, d’autres les battent. Dans certains pays, des parents prostituent leurs filles et leurs fils dès leur plus jeune âge. L’image du couple supposé former un cocon idéal pour la formation des jeunes en prend un coup. A tout prendre, j’aurais préféré être élevé par deux femmes – ou deux hommes – qui m’aiment plutôt que par un couple qui se déchire à cause de moi.

Tout de même, officialiser ce qui, il n’y a pas si longtemps, passait pour une anomalie ou une déviation, il me fallait l’accepter. Je me rappelle au début des années 80, au moment de l’apparition du virus du SIDA, que des revues médicales expliquaient sérieusement l’homosexualité par l’immaturité, une mère abusive ou la peur de l’autre. Autant de propos qu’on n’oserait pas tenir aujourd’hui.

J’en étais donc là de mes réflexions quand le gouvernement, fidèle en cela aux engagements du candidat Hollande, a présenté au parlement son projet de loi. Je ne me sentais pas d’humeur à exprimer haut et fort mon désaccord avec ce projet. J’étais vaguement contre, en ayant bien conscience que cette opposition, toute molle qu’elle fût, me rangeait au rang des réactionnaires.

C’est alors que quelques excités ont déclenché une campagne vigoureuse contre le mariage homosexuel, appelé à tort mariage pour tous. Rien qu’à voir les chefs des insurgés, mais aussi leurs troupes, je n’ai pas été long à choisir mon camp. Madame Barjot qui, il n’y a pas si longtemps, chantait : « fais-moi l’amour avec deux doigts », voilà une curieuse d’égérie pour les tenants de la morale traditionnelle. Boutin, Villiers, tout le gratin du conservatisme le plus absolu. Les manifestants dans leur ensemble, jeunes et moins jeunes issus des écoles confessionnelles, les ligues de celles et ceux qui préfèrent la charité à la justice. Pas un instant, je n’ai pensé rejoindre leurs rangs, même si, sur le fond, j’étais sensible à leurs arguments, en partie du moins. Mais ils étaient exprimés en des termes pour moi insupportables, ils reflétaient tant la bonne conscience et l’aveuglement des leurs thuriféraires que j’ai aussitôt su de quel bord je n’étais pas.

Sans compter sue la droite n’avait pas été prise en traître. Hollande avait promis de le faire une fois élu. L a gagné les élections, il tient cet engagement e pouvoir de la rue au détriment des urnes, on sait ce que cela donne. D’autres gouvernements ont reculé sous sa pression, de gauche comme de droite et cela à mes yeux relève d’un souci de démagogie sans plus.

Les combats d’arrière-garde des « veilleurs » qui espèrent faire durer leur action jusqu’au prochain changement de majorité et qu’alors on abolira la loi scélérate paraissent voués à l’échec. Si l’on voulait rendre à la famille sa vertu d’origine, il faudrait avant tout revenir sur l’instauration du divorce, programme difficile à soutenir aujourd’hui.

Il est permis de se demander comment une infime minorité de femmes et d’hommes – on parle de 1% de la population – est parvenue à soutenir et faire adopter une telle mesure. Le pouvoir financier de Pierre Bergé, le jeu des lobbies ? L’appel à la victimisation a porté, sans aucun doute et les adversaires du projet ont tenté à leur tour de faire passer les hétéros pour des victimes d’un ostracisme d’un nouvel ordre, avatar du front national qui crie au racisme à son encontre.

Le « combat » des opposants au mariage homosexuel a cristallisé la coupure de la société entre les tolérants et les extrémistes. Ils ont choisi leur camp. Je choisis le mien.

 

vendredi 6 septembre 2013

C'était bien, chez Lorette

                    

Je me rendais en un lieu improbable du nom de Roche Saint Secret Béconne. Franchement, à quoi ça rime, un nom pareil ! C’est dans la Drôme, un peu au Sud de Dieulefit. Encore un bled affublé d’un patronyme connotant. Pour m’y rendre, depuis ma campagne reculée, j’avais en gros le choix entre deux solutions : l’automobile ou le train. Si je prenais le volant, mes spécialistes de l’Internet me promettaient sept heures de trajet aller, soixante euros de carburant et quarante de péage. Une journée et cent euros dans chaque sens. Le train me semblait, sinon plus rapide, du moins meilleur marché. De plus, j’ai un penchant certain pour les voyages à côté de passagers, par chance de passagères, écrire, lire, bavarder. J’ai donc opté pour cette solution. Mais à l’aller, il me fallait changer à la Part-Dieu, gare centrale de Lyon, prendre un deuxième train pour Le Teil et de là, un autocar pour Montélimar. Alors, mais alors seulement, mes aimables hôtes m’ont promis de venir me chercher.

Donc, pour prendre le train de huit heures trente, je devais quitter le domicile une heure avant et ne pouvais espérer parvenir à mon objectif final avant 18h 30. Ce temps paraît long, mais s’explique par le changement à Lyon, où me sont offertes cent vingt minutes d’attente. L’heure du déjeuner n’étant pas complètement passée, j’en ai profité pour manger une andouillette et des frites, une salade composée et un morceau de camembert, le tout arrosé d’un quart de bordeaux et d’un café. A Lyon, même les snacks en libre-service proposent une nourriture plaisante. Ayant achevé mes agapes, m’est venue l’envie de soulager ma vessie. Je veille à emporter avec moi mon portefeuille et mon téléphone et laisse mon sac au pied de la table que j’occupais. De retour, plus rien. J‘ai pourtant pris garde d’abréger le temps de ma miction. C’est alors que je prends conscience de la situation : mon billet de train et toutes les indications pour rejoindre Roche  Saint Secret Béconne se trouvaient dans mon sac, avec mon ordinateur, mon carnet de rendez-vous, mon répertoire, etc. Téléphoner chez moi ne me serait d’aucune utilité. Je me résous à alerter le petit commissariat de la gare, un endroit propret, accueillant sans doute quand un représentant de l’ordre tient la permanence. Il est pourtant deux heures et  demie : personne. Je me rappelle soudain la date ; nous sommes le quinze août ; les policiers ont dû se rendre à un service religieux. Alors, plein de fiel et de dépit, je prends un billet pour rentrer à la maison.

 

·          

·                 *

 

Un  con,  un vrai con. Je l’observais depuis un sacré bout de temps et m’attendais à le voir oublier son portable au restaurant, peut-être même ses chaussures. Je n’ai pas été déçu du voyage : il s’est levé pour aller aux cabinets en laissant toutes ses affaires. Quel imprudent ! Des gens mal intentionnés auraient pu les lui voler. Par bonheur, c’est moi qui me trouvais là. Vite fait, j’ai enfilé les lanières et escamoté le sac à dos. Pas si mal, d’ailleurs. Sur les quais de Saône, j’en tirerai bien vingt euros. Assez vite, j’ai quitté les parages pour un coin plus tranquille.

Ce con, figurez-vous qu’il m’a fait cadeau de son billet de train et qu’il a noté sur son agenda toutes les informations pour rejoindre un atelier d’écriture. On dirait que ce gogo a même payé d’avance. Je vais me faire passer pour lui et on va rigoler.

Je monte dans le train. Mon billet – je m’entends – indique comme destination Le Teil. Je n’avais pas entendu parler de ce bled, mais bon, je ne vais pas faire le difficile. De là, un bus doit me permettre de rallier Montélimar. Pas de bol, on me demande deux euros, cinquante quand j’en ai juste huit en poche. On n’a rien sans rien. Je paye, bien que ce ne soit pas dans mes habitudes. A la gare de Montélimar, un homme ni jeune ni vieux m’attend en tenant une pancarte : Atelier Lorette Nobécourt. Pile poil, c’est pour moi. Je monte dans son carrosse sous le nom d’Armel Bazin. Y a mieux, comme blaze, mais y a pire. On roule une cinquantaine de kilomètres sur des routes sinueuses, dans un pays accidenté, sous le cagnard qui cogne drôlement. Et bien sûr, la tire, elle fait pas air conditionné. Rouler fenêtres ouvertes, il y a de quoi choper une fluxion de poitrine.

On arrive enfin à destination ; un coin plutôt chouette. La plume, ça paie, pas à dire ! C’est vrai que la Lorette, elle bosse des heures sup’ avec ses ateliers. A peine mes bagages défaits – ce qui me permet de découvrir des fringues comme je croyais pas que ça se faisait encore – je vais piquer une tête dans la piscine. Là, heureuse surprise : tout autour se trouvent, allongées au soleil, cinq femmes magnifiques qui me saluent d’un :

-          Bienvenue, Armel !

Qui me fait chaud au cœur. Des rondeurs partout, jusque dans leurs paroles. Y a pas à dire, la vie, c’est pas toujours une tartine de merde ! Je réponds de mon plus beau sourire et d’un ample geste de la main dans lequel je mets toute la majesté dont je suis capable. Oh ! J’en vois une sixième. Je ne l’avais pas remarquée du premier abord parce qu’elle barbotte au milieu de l’eau et souvent dessous. Il ne m’est pas permis d’examiner en détail son anatomie, mais gageons qu’elle vaut les autres. Quelques brasses, et je la rejoins, histoire de nouer connaissance.

Pas à dire, ces nanas, elles sont cools. Et elles m’ont à la bonne. On dirait qu’en dehors du chauffeur, ne se trouve aucun autre représentant du genre masculin. A moi, la belle vie !

Lorette, c’est celle qui se baigne avec moi, me dit :

-          Dis-donc, t’es drôlement jeune !

On ne me prend pas facilement au dépourvu. Je réplique :

-          J’ai voulu vous faire une surprise.

Après le bain, dîner. Là, ça s’est un peu corsé, parce que certaines ont voulu échanger avec moi.

-          Guyotat, tu connais ?

-          Assez mal, je dois l’avouer. Tu en as emporté un avec toi ?

Heureusement, elle n’en avait pas. Une grande blonde m’a demandé :

-          Tu as lu le dernier Tripiak ? Encore un nom qui ne me disait rien.

-          Et toi ?

Bien vu. Elle s’est lancée dans un blabla incompréhensible, on aurait dit de l’araméen primitif, toute contente de me faire partager son point de vue sur cet écrivain promis sans aucun doute possible à un grand avenir.

-          Ce que j’aime en lui, c’est qu’il aborde des sujets intimes, difficiles, répugnants et qu’on en redemande.

-          T’as tapé dans le mille, que je lui fais en écarquillant les mirettes. On peut dire qu’il est hypermoderne.

Ce mot-là, je l’avais entendu un jour que je m’étais gouré avec l’autoradio. Je voulais écouter « les routiers sont sympas » et je suis tombé sur « le masque et la plume ». Ca fait rien, c’était bien trouvé et en situation. Au dîner, on a parlé des meilleures tables, de la région d’abord, puis de proche en proche à Lyon, à Marseille. On devait être arrivé à Manille quand j’ai entendu :

-          Oh ! Le pauvre ! Il ronfle ! Après un voyage pareil, il doit être fatigué.

Et tout le monde est allé se coucher sans histoires. Pour la première fois de ma vie, j’ai dormi dans un pyjama. Intéressant, comme expérience. Le matin, j’ai marché sur des œufs. La Lorette, elle nous a demandés :

-          Faites la liste des dix objets qui ont le plus compté dans votre vie.

J’ai pas eu de mal pour les premiers : un billet de cinq cents balles, la Harley de Mimi, mon vieux Chevignon, la patte de lapin de papa, mon verre à bière… Après, pas grave, j’ai inventé : une gourmette avec mes initiales, un T-shirt qu’on a dit qu’il avait appartenu au King, une culotte de Madonna, et pour finir, j’ai ajouté pour faire plus intellectuel : les œuvres complètes de Paul-Loup Sulitzer et le petit vin blanc par André Verschuren. Chacun a lu sa liste. Elles faisaient une drôle de tronche quand ça a été mon tour. Elisabeth, une petite brune, toute ronde et toute frisée qui me couve du regard, s’est écriée :

-          Sacré Armel, il a le don de nous faire des niches !

Alors, tout le monde a ri. Lorette a repris :

-          Même chose pour les dix personnes qui nous ont le plus marqués.

J’avais commencé, mieux valait continuer. Après Maman, of course, il y a eu Dédé et Fifi, avec qui je braquais les flippers du quartier, et puis le père Desthuiles, le con qui surveillait les HLM chez nous.. Toujours entre deux ou trois vins, un mot pour un autre, toujours à nous gueuler après. J’ai ajouté la Marie-R’née qui tenait une écurie dans la rue voisine. Rien qu’des pouliches de premier choix. C’est chez elle que je l’ai perdu, mon berlingue. Et l’adjudant Babord, un gros nullard à moustaches qui n’a jamais réussi à me coincer. On l’avait surnommé comma ça parce qu’il nous faisait penser au capitaine Haddock. C’est son chef, le lieutenant Müller qui m’a épinglé une nuit, alors que je venais de faire mes emplettes au Super-U. J’avais encore mon caddy plein et les débris de la porte en verre gisaient sur le sol. Trois mois ferme, ça m’a valu. Au trou, j’ai été présenté à Bébert la trique, qui voulait me faire tâter de la sienne. Pour y échapper, j’ai passé un deal avec lui : je faisais entrer en cabane toute la came dont il avait besoin par mon débarbot. Tiens, celui-là aussi, c’était un drôle. Tout ce qui l’intéressait, lui, c’était de trouver des débouchés pour le crack et la blanche. Ça tombait bien. A la fin, pour m’amuser, j’ai ajouté à la liste le pape et le Dalaï-Lama. Elles se demandaient si c’était du lard ou du cochon.

La matinée était finie. Quelques longueurs, quelques largeurs dans la flotte et madame est servie. La bouffe était à la hauteur du lieu et de ses habitantes. Et le jaja, un Côtes du Rhône Gigondas pas piqué des hannetons. Après, pour pas nous user trop les méninges, un petit coup de sieste. Pour ça, j’étais au niveau.

C’est alors que les athéniens s’atteignirent. Lorette, elle a pris nos noms, nos objets fétiches aussi, elle a découpé des listes et a rempli deux chapeaux. Chacune et chacun (moi) a tiré un papier dans un chapeau, puis dans l’autre. Et hardi petit, il fallait raconter une histoire.

Moi, je suis tombé sur un Jean-Ferdinand. La notice précisait : il a été mon premier amour, mon premier amant. Et pour l’objet, j’étais gâté : une brosse à cheveux. Alors j’ai écrit :

Jean-Ferdinand avait le pubis comme une brosse à cheveux. Il m’a sauté dessus. Aie ! Que j’ai fait, tu me piques !

C’est tout ce que j’ai réussi à pondre. Elles, je les voyais noircir des pages entières, l’air inspiré. Moi, je me disais : qu’est-ce qu’on peut foutre avec une brosse à cheveux ? Se carrer le manche dans le derrière, je veux bien, mais c’est pas très poli j’avais peur de choquer une aussi délicate compagnie. Vaillamment, j’ai tenu le coup les trois jours. Elles se sont résignées. Hedwige, une grande rousse excentrique de partout, a suggéré :

-          Il n’a pas la quantité, mais la qualité y est.

J’étais sauvé. Elles m’ont promu grand maître de l’école minimale. Une phrase suffisait chaque demi-journée et quand j’étais en forme, j’allais jusqu’à deux. Les filles m’aimaient bien ; elles trouvaient que je jouais le rôle d’une muse, les inspirant dans leurs créations. On se serait cru dans les femmes savantes : dis plutôt qu’il est notre museau, ma chère ! j’étais la coqueluche de ces dames. C’est à midi, le troisième jour, que les choses se sont vraiment compliquées.

-          Pour le règlement, je vous ai préparé vos notes

-          Quel règlement, j’ai murmuré, un rien naïf ?

-          Ben, vous savez bien, l’hébergement.

Ça ressemblait à un coup de Trafalgar. Il fallait que je paye deux cent cinquante-cinq euros, et pas moyen d’y couper, vu que pour sortir de là, j’avais besoin du chauffeur. Il ne me restait plus que l’après-midi pour trouver comment m’en sortir. J’ai eu l’idée de solliciter Elisabeth, la petite boulotte qui m’a poursuivi de ses assiduités tout au long du stage et que j’ai laissé gentiment faire sans pousser mon avantage, pour rien, juste parce que j’aime qu’on m’aime. Après le déjeuner, on avait de nouveau sieste. Je me suis faufilé dans les coursives et ai frappé doucement à sa porte.

-          Je n’ai pas mis la clé, entrez, m’a-t-elle crié.

J’ai obtempéré. Elle gisait en bikini sur son lit et, d’une voix rauque, m’a supplié :

-          Viens me rejoindre, mon amour.

Tu parles que j’ai pas hésité ; je lui ai peloté les seins et ai commencé à fourrager dans son slip quand elle m’a demandé :

-          Prends-moi par derrière !

J’y tenais, à mes deux cent cinquante-cinq euros. Bravement, je suis monté à l’assaut et, ma foi, j’y ai trouvé mon compte. Comme elle paraissait satisfaite de mes services, j’ai glissé :

-          J’ai oublié mon carnet de chèques. Tu voudrais pas m’avancer le fric ?

Elle m’a regardé, déçue.

-          Je me doutais d’un coup comme ça.

Pourtant, elle a saisi son carnet de chèques et en a rempli un, sans ordre, qu’elle m’a tendu.

-          Je ne te demande qu’une chose : reprends-moi par derrière.

Quand on me parle gentiment, je sais faire preuve de reconnaissance. Et puis, les rondeurs harmonieuses de ma partenaire avaient réveillé mes ardeurs. Derechef, j’ai sonné la charge.

Au beau milieu du déduit, Elisabeth m’a fait face, au risque de me blesser dans le mouvement tournant et m’a dit :

-          Bienvenue au club, chéri !

J’étais tombé sur un os.