cela m'agace un peu de reconnaître la marque profonde que m'a laissée mon éducation. L'autre jour, j'ai entendu un passage de l'évangile de Saint Matthieu qui m'a ému aux larmes. Voici le texte :
« Quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui, alors il siégera sur son trône de gloire.
Toutes les nations seront rassemblées devant lui ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres :
il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche.
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : 'Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde.
Car j'avais faim, et vous m'avez donné à manger ; j'avais soif, et vous m'avez donné à boire ; j'étais un étranger, et vous m'avez accueilli ;
j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade, et vous m'avez visité ; j'étais en prison, et vous êtes venus jusqu'à moi !'
Alors les justes lui répondront : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu...? tu avais donc faim, et nous t'avons nourri ? tu avais soif, et nous t'avons donné à boire ?
tu étais un étranger, et nous t'avons accueilli ? tu étais nu, et nous t'avons habillé ?
tu étais malade ou en prison... Quand sommes-nous venus jusqu'à toi ?'
Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.'
Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : 'Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges.
Car j'avais faim, et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'avais soif, et vous ne m'avez pas donné à boire ;
j'étais un étranger, et vous ne m'avez pas accueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas habillé ; j'étais malade et en prison, et vous ne m'avez pas visité.'
Alors ils répondront, eux aussi : 'Seigneur, quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim et soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?'
Il leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait.'
Et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. »
Ce passage de l'Evangile, je vis avec même si je ne lui suis pas toujours fidèle. A cause de lui, grâce à lui, je ne serai pas de ceux qui excluent, qui ferment leur porte, je ne soutiendrai jamais les misérables qui se barricadent et ne défendent que leurs petites personnes sans voir qu'en s'ouvrant aux autres, on accède à un bonheur plus grand. Je ne serai jamais du parti de ceux qui crient : dehors les étrangers, parce qu'on m'a appris qu'il fallait ouvrir son cœur.
Me dira-t-on, je choisis dans les textes ceux qui me plaisent. C'est vrai : on trouve, dans les évangiles et plus encore dans l'ancien Testament des passages d'une violence inouïe, de véritables appels au meurtre. Je revendique le droit à choisir, dans mon héritage, ce qui me plaît le plus.
mardi 17 septembre 2013
mercredi 11 septembre 2013
ordonnance
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M. Patient Lelecteur
Quelque part en France
Planète Terre
Galaxie : voie lactée
Prescription en cas d’insomnie :
Lire une page chaque soir et s’efforcer d’en comprendre
le sens.
En cas de difficulté résistante, relire le texte
plusieurs fois, essayer à voix haute : si ça ne vous fait pas dormir,
gageons que la personne qui partage votre lit en éprouvera du soulagement.
Signé :
illisible
Conseil de l’éditeur : ne
pas dépasser la dose prescrite.
lundi 9 septembre 2013
Marions-les
Quand, il y a quelques années,
des associations de gays ont parlé de pouvoir se marier, je n’y croyais pas. J’avais
tort, puisque plusieurs pays autour du nôtre, de tradition catholique comme
nous, avaient légalisé le mariage pour des personnes de même sexe sans que cela
déclenche une émeute. En France, pays de controverses s’il en est, le sujet
était de nature à provoquer des affrontements, verbaux du moins.
Sur le fond, cette question ne me
concerne pas. Je trouvais pourtant dérangeant qu’on modifie ainsi par la loi l’institution
familiale. J’ai connu il y a quarante ans une femme qui vivait avec une autre
et était parvenue, grâce aux relations de sa puissante famille, à adopter un
enfant. Était-il traumatisé, marqué à vie d’infamie ? J’ai peine à le
croire. Mais le modèle traditionnel : père-mère-enfants restait pour moi
la norme. Le développement massif des divorces m’amenait à voir différemment la
cellule familiale. Pourtant, le père vivait en général avec une femme, pas
toujours la mère de ses enfants, et celle-ci reconstituait aussi un noyau
homme-femme pour élever les enfants. On avait du moins des substituts de familles
traditionnelles, des reconstructions au sein desquelles on pouvait penser que l’enfant
retrouvait un équilibre de pouvoirs et d’affections propice à sa croissance.
Tout cela, il est vrai, reposait
sur une image du couple harmonieuse et on sait que c’est rarement le cas. Les
liens entre un homme et une femme qui vivent ensemble se dégradent le plus
souvent, ils se transforment au gré des difficultés, des concessions moins bien
supportées à mesure que le temps passe. Il est de ce fait utopique de prétendre
qu’un couple hétérosexuel offre un havre de paix et d’équilibre incomparable. A
y regarder de près, nombreux sont les enfants qui ont grandi dans une
atmosphère de querelles, parfois de haine. Es pères ont des liens incestueux
avec leurs enfants, d’autres les battent. Dans certains pays, des parents
prostituent leurs filles et leurs fils dès leur plus jeune âge. L’image du
couple supposé former un cocon idéal pour la formation des jeunes en prend un
coup. A tout prendre, j’aurais préféré être élevé par deux femmes – ou deux
hommes – qui m’aiment plutôt que par un couple qui se déchire à cause de moi.
Tout de même, officialiser ce
qui, il n’y a pas si longtemps, passait pour une anomalie ou une déviation, il
me fallait l’accepter. Je me rappelle au début des années 80, au moment de l’apparition
du virus du SIDA, que des revues médicales expliquaient sérieusement l’homosexualité
par l’immaturité, une mère abusive ou la peur de l’autre. Autant de propos qu’on
n’oserait pas tenir aujourd’hui.
J’en étais donc là de mes
réflexions quand le gouvernement, fidèle en cela aux engagements du candidat
Hollande, a présenté au parlement son projet de loi. Je ne me sentais pas d’humeur
à exprimer haut et fort mon désaccord avec ce projet. J’étais vaguement contre,
en ayant bien conscience que cette opposition, toute molle qu’elle fût, me
rangeait au rang des réactionnaires.
C’est alors que quelques excités
ont déclenché une campagne vigoureuse contre le mariage homosexuel, appelé à
tort mariage pour tous. Rien qu’à voir les chefs des insurgés, mais aussi leurs
troupes, je n’ai pas été long à choisir mon camp. Madame Barjot qui, il n’y a
pas si longtemps, chantait : « fais-moi l’amour avec deux doigts »,
voilà une curieuse d’égérie pour les tenants de la morale traditionnelle.
Boutin, Villiers, tout le gratin du conservatisme le plus absolu. Les
manifestants dans leur ensemble, jeunes et moins jeunes issus des écoles
confessionnelles, les ligues de celles et ceux qui préfèrent la charité à la
justice. Pas un instant, je n’ai pensé rejoindre leurs rangs, même si, sur le
fond, j’étais sensible à leurs arguments, en partie du moins. Mais ils étaient
exprimés en des termes pour moi insupportables, ils reflétaient tant la bonne
conscience et l’aveuglement des leurs thuriféraires que j’ai aussitôt su de
quel bord je n’étais pas.
Sans compter
sue la droite n’avait pas été prise en traître. Hollande avait promis de le
faire une fois élu. L a gagné les élections, il tient cet engagement e
pouvoir de la rue au détriment des urnes, on sait ce que cela donne. D’autres
gouvernements ont reculé sous sa pression, de gauche comme de droite et cela à
mes yeux relève d’un souci de démagogie sans plus.
Les combats
d’arrière-garde des « veilleurs » qui espèrent faire durer leur
action jusqu’au prochain changement de majorité et qu’alors on abolira la loi
scélérate paraissent voués à l’échec. Si l’on voulait rendre à la famille sa
vertu d’origine, il faudrait avant tout revenir sur l’instauration du divorce,
programme difficile à soutenir aujourd’hui.
Il est
permis de se demander comment une infime minorité de femmes et d’hommes – on parle
de 1% de la population – est parvenue à soutenir et faire adopter une telle
mesure. Le pouvoir financier de Pierre Bergé, le jeu des lobbies ? L’appel
à la victimisation a porté, sans aucun doute et les adversaires du projet ont
tenté à leur tour de faire passer les hétéros pour des victimes d’un ostracisme
d’un nouvel ordre, avatar du front national qui crie au racisme à son encontre.
Le « combat »
des opposants au mariage homosexuel a cristallisé la coupure de la société
entre les tolérants et les extrémistes. Ils ont choisi leur camp. Je choisis le
mien.
vendredi 6 septembre 2013
C'était bien, chez Lorette
Je me rendais en un lieu improbable du nom de Roche Saint
Secret Béconne. Franchement, à quoi ça rime, un nom pareil ! C’est dans la
Drôme, un peu au Sud de Dieulefit. Encore un bled affublé d’un patronyme
connotant. Pour m’y rendre, depuis ma campagne reculée, j’avais en gros le
choix entre deux solutions : l’automobile ou le train. Si je prenais le
volant, mes spécialistes de l’Internet me promettaient sept heures de trajet
aller, soixante euros de carburant et quarante de péage. Une journée et cent
euros dans chaque sens. Le train me semblait, sinon plus rapide, du moins
meilleur marché. De plus, j’ai un penchant certain pour les voyages à côté de
passagers, par chance de passagères, écrire, lire, bavarder. J’ai donc opté pour
cette solution. Mais à l’aller, il me fallait changer à la Part-Dieu, gare
centrale de Lyon, prendre un deuxième train pour Le Teil et de là, un autocar
pour Montélimar. Alors, mais alors seulement, mes aimables hôtes m’ont promis
de venir me chercher.
Donc, pour prendre le train de huit heures trente, je devais
quitter le domicile une heure avant et ne pouvais espérer parvenir à mon
objectif final avant 18h 30. Ce temps paraît long, mais s’explique par le
changement à Lyon, où me sont offertes cent vingt minutes d’attente. L’heure du
déjeuner n’étant pas complètement passée, j’en ai profité pour manger une
andouillette et des frites, une salade composée et un morceau de camembert, le
tout arrosé d’un quart de bordeaux et d’un café. A Lyon, même les snacks en
libre-service proposent une nourriture plaisante. Ayant achevé mes agapes,
m’est venue l’envie de soulager ma vessie. Je veille à emporter avec moi mon
portefeuille et mon téléphone et laisse mon sac au pied de la table que
j’occupais. De retour, plus rien. J‘ai pourtant pris garde d’abréger le temps
de ma miction. C’est alors que je prends conscience de la situation : mon
billet de train et toutes les indications pour rejoindre Roche Saint Secret Béconne se trouvaient dans mon
sac, avec mon ordinateur, mon carnet de rendez-vous, mon répertoire, etc.
Téléphoner chez moi ne me serait d’aucune utilité. Je me résous à alerter le
petit commissariat de la gare, un endroit propret, accueillant sans doute quand
un représentant de l’ordre tient la permanence. Il est pourtant deux heures
et demie : personne. Je me rappelle
soudain la date ; nous sommes le quinze août ; les policiers ont dû
se rendre à un service religieux. Alors, plein de fiel et de dépit, je prends
un billet pour rentrer à la maison.
·
·
*
Un con, un vrai con. Je l’observais depuis un sacré
bout de temps et m’attendais à le voir oublier son portable au restaurant,
peut-être même ses chaussures. Je n’ai pas été déçu du voyage : il s’est
levé pour aller aux cabinets en laissant toutes ses affaires. Quel imprudent !
Des gens mal intentionnés auraient pu les lui voler. Par bonheur, c’est moi qui
me trouvais là. Vite fait, j’ai enfilé les lanières et escamoté le sac à dos.
Pas si mal, d’ailleurs. Sur les quais de Saône, j’en tirerai bien vingt euros.
Assez vite, j’ai quitté les parages pour un coin plus tranquille.
Ce con, figurez-vous qu’il m’a fait cadeau de son billet de
train et qu’il a noté sur son agenda toutes les informations pour rejoindre un
atelier d’écriture. On dirait que ce gogo a même payé d’avance. Je vais me
faire passer pour lui et on va rigoler.
Je monte dans le train. Mon billet – je m’entends – indique
comme destination Le Teil. Je n’avais pas entendu parler de ce bled, mais bon,
je ne vais pas faire le difficile. De là, un bus doit me permettre de rallier
Montélimar. Pas de bol, on me demande deux euros, cinquante quand j’en ai juste
huit en poche. On n’a rien sans rien. Je paye, bien que ce ne soit pas dans mes
habitudes. A la gare de Montélimar, un homme ni jeune ni vieux m’attend en
tenant une pancarte : Atelier Lorette Nobécourt. Pile poil, c’est pour
moi. Je monte dans son
carrosse sous le nom d’Armel Bazin. Y a mieux, comme blaze, mais y a pire. On
roule une cinquantaine de kilomètres sur des routes sinueuses, dans un pays
accidenté, sous le cagnard qui cogne drôlement. Et bien sûr, la tire, elle fait
pas air conditionné. Rouler fenêtres ouvertes, il y a de quoi choper une
fluxion de poitrine.
On arrive enfin à destination ; un coin plutôt
chouette. La plume, ça paie, pas à dire ! C’est vrai que la Lorette, elle
bosse des heures sup’ avec ses ateliers. A peine mes bagages défaits – ce qui
me permet de découvrir des fringues comme je croyais pas que ça se faisait
encore – je vais piquer une tête dans la piscine. Là, heureuse surprise : tout
autour se trouvent, allongées au soleil, cinq femmes magnifiques qui me saluent
d’un :
-
Bienvenue, Armel !
Qui me fait chaud au cœur. Des rondeurs partout, jusque dans
leurs paroles. Y a pas à dire, la vie, c’est pas toujours une tartine de
merde ! Je réponds de mon plus beau sourire et d’un ample geste de la main
dans lequel je mets toute la majesté dont je suis capable. Oh ! J’en vois
une sixième. Je ne l’avais pas remarquée du premier abord parce qu’elle
barbotte au milieu de l’eau et souvent dessous. Il ne m’est pas permis
d’examiner en détail son anatomie, mais gageons qu’elle vaut les autres.
Quelques brasses, et je la rejoins, histoire de nouer connaissance.
Pas à dire, ces nanas, elles sont cools. Et elles m’ont à la
bonne. On dirait qu’en dehors du chauffeur, ne se trouve aucun autre
représentant du genre masculin. A moi, la belle vie !
Lorette, c’est celle qui se baigne avec moi, me dit :
-
Dis-donc, t’es drôlement jeune !
On ne me prend pas facilement au dépourvu. Je
réplique :
-
J’ai voulu vous faire une surprise.
Après le bain, dîner. Là, ça s’est un peu corsé, parce que
certaines ont voulu échanger avec moi.
-
Guyotat, tu connais ?
-
Assez mal, je dois l’avouer. Tu en as emporté un
avec toi ?
Heureusement, elle n’en avait pas. Une grande blonde m’a
demandé :
-
Tu as lu le dernier Tripiak ? Encore un nom
qui ne me disait rien.
-
Et toi ?
Bien vu. Elle s’est lancée dans un blabla incompréhensible,
on aurait dit de l’araméen primitif, toute contente de me faire partager son
point de vue sur cet écrivain promis sans aucun doute possible à un grand
avenir.
-
Ce que j’aime en lui, c’est qu’il aborde des
sujets intimes, difficiles, répugnants et qu’on en redemande.
-
T’as tapé dans le mille, que je lui fais en
écarquillant les mirettes. On peut dire qu’il est hypermoderne.
Ce mot-là, je l’avais entendu un jour que je m’étais gouré
avec l’autoradio. Je voulais écouter « les routiers sont sympas » et
je suis tombé sur « le masque et la plume ». Ca fait rien, c’était
bien trouvé et en situation. Au dîner, on a parlé des meilleures tables, de la
région d’abord, puis de proche en proche à Lyon, à Marseille. On devait être
arrivé à Manille quand j’ai entendu :
-
Oh ! Le pauvre ! Il ronfle !
Après un voyage pareil, il doit être fatigué.
Et tout le monde est allé se coucher sans histoires. Pour la
première fois de ma vie, j’ai dormi dans un pyjama. Intéressant, comme
expérience. Le matin, j’ai marché sur des œufs. La Lorette, elle nous a demandés :
-
Faites la liste des dix objets qui ont le plus
compté dans votre vie.
J’ai pas eu de mal pour les premiers : un billet de
cinq cents balles, la Harley de Mimi, mon vieux Chevignon, la patte de lapin de
papa, mon verre à bière… Après, pas grave, j’ai inventé : une gourmette
avec mes initiales, un T-shirt qu’on a dit qu’il avait appartenu au King, une
culotte de Madonna, et pour finir, j’ai ajouté pour faire plus
intellectuel : les œuvres complètes de Paul-Loup Sulitzer et le petit vin
blanc par André Verschuren. Chacun a lu sa liste. Elles faisaient une drôle de
tronche quand ça a été mon tour. Elisabeth, une petite brune, toute ronde et
toute frisée qui me couve du regard, s’est écriée :
-
Sacré Armel, il a le don de nous faire des
niches !
Alors, tout le monde a ri. Lorette a repris :
-
Même chose pour les dix personnes qui nous ont
le plus marqués.
J’avais commencé, mieux valait continuer. Après Maman, of
course, il y a eu Dédé et Fifi, avec qui je braquais les flippers du quartier,
et puis le père Desthuiles, le con qui surveillait les HLM chez nous.. Toujours
entre deux ou trois vins, un mot pour un autre, toujours à nous gueuler après.
J’ai ajouté la Marie-R’née qui tenait une écurie dans la rue voisine. Rien
qu’des pouliches de premier choix. C’est chez elle que je l’ai perdu, mon
berlingue. Et l’adjudant Babord, un gros nullard à moustaches qui n’a jamais
réussi à me coincer. On l’avait surnommé comma ça parce qu’il nous faisait
penser au capitaine Haddock. C’est son chef, le lieutenant Müller qui m’a
épinglé une nuit, alors que je venais de faire mes emplettes au Super-U.
J’avais encore mon caddy plein et les débris de la porte en verre gisaient sur
le sol. Trois mois ferme, ça m’a valu. Au trou, j’ai été présenté à Bébert la
trique, qui voulait me faire tâter de la sienne. Pour y échapper, j’ai passé un
deal avec lui : je faisais entrer en cabane toute la came dont il avait
besoin par mon débarbot. Tiens, celui-là aussi, c’était un drôle. Tout ce qui
l’intéressait, lui, c’était de trouver des débouchés pour le crack et la
blanche. Ça tombait bien. A la fin, pour m’amuser, j’ai ajouté à la liste le
pape et le Dalaï-Lama. Elles se demandaient si c’était du lard ou du cochon.
La matinée était finie. Quelques longueurs, quelques
largeurs dans la flotte et madame est servie. La bouffe était à la hauteur du
lieu et de ses habitantes. Et le jaja, un Côtes du Rhône Gigondas pas piqué des
hannetons. Après, pour pas nous user trop les méninges, un petit coup de
sieste. Pour ça, j’étais au niveau.
C’est alors que les athéniens s’atteignirent. Lorette, elle
a pris nos noms, nos objets fétiches aussi, elle a découpé des listes et a
rempli deux chapeaux. Chacune et chacun (moi) a tiré un papier dans un chapeau,
puis dans l’autre. Et hardi petit, il fallait raconter une histoire.
Moi, je suis tombé sur un Jean-Ferdinand. La notice
précisait : il a été mon premier amour, mon premier amant. Et pour
l’objet, j’étais gâté : une brosse à cheveux. Alors j’ai écrit :
Jean-Ferdinand avait le pubis comme une brosse à cheveux. Il
m’a sauté dessus. Aie ! Que j’ai fait, tu me piques !
C’est tout ce que j’ai réussi à
pondre. Elles, je les voyais noircir des pages entières, l’air inspiré. Moi, je
me disais : qu’est-ce qu’on peut foutre avec une brosse à cheveux ?
Se carrer le manche dans le derrière, je veux bien, mais c’est pas très
poli j’avais peur de choquer une aussi délicate compagnie. Vaillamment, j’ai
tenu le coup les trois jours. Elles se sont résignées. Hedwige, une grande
rousse excentrique de partout, a suggéré :
-
Il n’a pas la quantité, mais la qualité y est.
J’étais sauvé. Elles m’ont promu
grand maître de l’école minimale. Une phrase suffisait chaque demi-journée et
quand j’étais en forme, j’allais jusqu’à deux. Les filles m’aimaient bien ;
elles trouvaient que je jouais le rôle d’une muse, les inspirant dans leurs
créations. On se serait cru dans les femmes savantes : dis plutôt qu’il
est notre museau, ma chère ! j’étais la coqueluche de ces dames. C’est à
midi, le troisième jour, que les choses se sont vraiment compliquées.
-
Pour le règlement, je vous ai préparé vos notes
-
Quel règlement, j’ai murmuré, un rien naïf ?
-
Ben, vous savez bien, l’hébergement.
Ça ressemblait à un coup de Trafalgar. Il fallait que je
paye deux cent cinquante-cinq euros, et pas moyen d’y couper, vu que pour
sortir de là, j’avais besoin du chauffeur. Il ne me restait plus que l’après-midi
pour trouver comment m’en sortir. J’ai eu l’idée de solliciter Elisabeth, la
petite boulotte qui m’a poursuivi de ses assiduités tout au long du stage et
que j’ai laissé gentiment faire sans pousser mon avantage, pour rien, juste
parce que j’aime qu’on m’aime. Après le déjeuner, on avait de nouveau sieste.
Je me suis faufilé dans les coursives et ai frappé doucement à sa porte.
-
Je n’ai pas mis la clé, entrez, m’a-t-elle crié.
J’ai obtempéré. Elle gisait en bikini sur son lit et, d’une
voix rauque, m’a supplié :
-
Viens me rejoindre, mon amour.
Tu parles que j’ai pas hésité ; je lui ai peloté les
seins et ai commencé à fourrager dans son slip quand elle m’a demandé :
-
Prends-moi par derrière !
J’y tenais, à mes deux cent cinquante-cinq euros. Bravement,
je suis monté à l’assaut et, ma foi, j’y ai trouvé mon compte. Comme elle
paraissait satisfaite de mes services, j’ai glissé :
-
J’ai oublié mon carnet de chèques. Tu voudrais
pas m’avancer le fric ?
Elle m’a regardé, déçue.
-
Je me doutais d’un coup comme ça.
Pourtant, elle a saisi son carnet de chèques et en a rempli
un, sans ordre, qu’elle m’a tendu.
-
Je ne te demande qu’une chose :
reprends-moi par derrière.
Quand on me parle gentiment, je sais faire preuve de
reconnaissance. Et puis, les rondeurs harmonieuses de ma partenaire avaient
réveillé mes ardeurs. Derechef, j’ai sonné la charge.
Au beau milieu du déduit, Elisabeth m’a fait face, au risque
de me blesser dans le mouvement tournant et m’a dit :
-
Bienvenue au club, chéri !
J’étais tombé sur un os.
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