vendredi 6 septembre 2013

C'était bien, chez Lorette

                    

Je me rendais en un lieu improbable du nom de Roche Saint Secret Béconne. Franchement, à quoi ça rime, un nom pareil ! C’est dans la Drôme, un peu au Sud de Dieulefit. Encore un bled affublé d’un patronyme connotant. Pour m’y rendre, depuis ma campagne reculée, j’avais en gros le choix entre deux solutions : l’automobile ou le train. Si je prenais le volant, mes spécialistes de l’Internet me promettaient sept heures de trajet aller, soixante euros de carburant et quarante de péage. Une journée et cent euros dans chaque sens. Le train me semblait, sinon plus rapide, du moins meilleur marché. De plus, j’ai un penchant certain pour les voyages à côté de passagers, par chance de passagères, écrire, lire, bavarder. J’ai donc opté pour cette solution. Mais à l’aller, il me fallait changer à la Part-Dieu, gare centrale de Lyon, prendre un deuxième train pour Le Teil et de là, un autocar pour Montélimar. Alors, mais alors seulement, mes aimables hôtes m’ont promis de venir me chercher.

Donc, pour prendre le train de huit heures trente, je devais quitter le domicile une heure avant et ne pouvais espérer parvenir à mon objectif final avant 18h 30. Ce temps paraît long, mais s’explique par le changement à Lyon, où me sont offertes cent vingt minutes d’attente. L’heure du déjeuner n’étant pas complètement passée, j’en ai profité pour manger une andouillette et des frites, une salade composée et un morceau de camembert, le tout arrosé d’un quart de bordeaux et d’un café. A Lyon, même les snacks en libre-service proposent une nourriture plaisante. Ayant achevé mes agapes, m’est venue l’envie de soulager ma vessie. Je veille à emporter avec moi mon portefeuille et mon téléphone et laisse mon sac au pied de la table que j’occupais. De retour, plus rien. J‘ai pourtant pris garde d’abréger le temps de ma miction. C’est alors que je prends conscience de la situation : mon billet de train et toutes les indications pour rejoindre Roche  Saint Secret Béconne se trouvaient dans mon sac, avec mon ordinateur, mon carnet de rendez-vous, mon répertoire, etc. Téléphoner chez moi ne me serait d’aucune utilité. Je me résous à alerter le petit commissariat de la gare, un endroit propret, accueillant sans doute quand un représentant de l’ordre tient la permanence. Il est pourtant deux heures et  demie : personne. Je me rappelle soudain la date ; nous sommes le quinze août ; les policiers ont dû se rendre à un service religieux. Alors, plein de fiel et de dépit, je prends un billet pour rentrer à la maison.

 

·          

·                 *

 

Un  con,  un vrai con. Je l’observais depuis un sacré bout de temps et m’attendais à le voir oublier son portable au restaurant, peut-être même ses chaussures. Je n’ai pas été déçu du voyage : il s’est levé pour aller aux cabinets en laissant toutes ses affaires. Quel imprudent ! Des gens mal intentionnés auraient pu les lui voler. Par bonheur, c’est moi qui me trouvais là. Vite fait, j’ai enfilé les lanières et escamoté le sac à dos. Pas si mal, d’ailleurs. Sur les quais de Saône, j’en tirerai bien vingt euros. Assez vite, j’ai quitté les parages pour un coin plus tranquille.

Ce con, figurez-vous qu’il m’a fait cadeau de son billet de train et qu’il a noté sur son agenda toutes les informations pour rejoindre un atelier d’écriture. On dirait que ce gogo a même payé d’avance. Je vais me faire passer pour lui et on va rigoler.

Je monte dans le train. Mon billet – je m’entends – indique comme destination Le Teil. Je n’avais pas entendu parler de ce bled, mais bon, je ne vais pas faire le difficile. De là, un bus doit me permettre de rallier Montélimar. Pas de bol, on me demande deux euros, cinquante quand j’en ai juste huit en poche. On n’a rien sans rien. Je paye, bien que ce ne soit pas dans mes habitudes. A la gare de Montélimar, un homme ni jeune ni vieux m’attend en tenant une pancarte : Atelier Lorette Nobécourt. Pile poil, c’est pour moi. Je monte dans son carrosse sous le nom d’Armel Bazin. Y a mieux, comme blaze, mais y a pire. On roule une cinquantaine de kilomètres sur des routes sinueuses, dans un pays accidenté, sous le cagnard qui cogne drôlement. Et bien sûr, la tire, elle fait pas air conditionné. Rouler fenêtres ouvertes, il y a de quoi choper une fluxion de poitrine.

On arrive enfin à destination ; un coin plutôt chouette. La plume, ça paie, pas à dire ! C’est vrai que la Lorette, elle bosse des heures sup’ avec ses ateliers. A peine mes bagages défaits – ce qui me permet de découvrir des fringues comme je croyais pas que ça se faisait encore – je vais piquer une tête dans la piscine. Là, heureuse surprise : tout autour se trouvent, allongées au soleil, cinq femmes magnifiques qui me saluent d’un :

-          Bienvenue, Armel !

Qui me fait chaud au cœur. Des rondeurs partout, jusque dans leurs paroles. Y a pas à dire, la vie, c’est pas toujours une tartine de merde ! Je réponds de mon plus beau sourire et d’un ample geste de la main dans lequel je mets toute la majesté dont je suis capable. Oh ! J’en vois une sixième. Je ne l’avais pas remarquée du premier abord parce qu’elle barbotte au milieu de l’eau et souvent dessous. Il ne m’est pas permis d’examiner en détail son anatomie, mais gageons qu’elle vaut les autres. Quelques brasses, et je la rejoins, histoire de nouer connaissance.

Pas à dire, ces nanas, elles sont cools. Et elles m’ont à la bonne. On dirait qu’en dehors du chauffeur, ne se trouve aucun autre représentant du genre masculin. A moi, la belle vie !

Lorette, c’est celle qui se baigne avec moi, me dit :

-          Dis-donc, t’es drôlement jeune !

On ne me prend pas facilement au dépourvu. Je réplique :

-          J’ai voulu vous faire une surprise.

Après le bain, dîner. Là, ça s’est un peu corsé, parce que certaines ont voulu échanger avec moi.

-          Guyotat, tu connais ?

-          Assez mal, je dois l’avouer. Tu en as emporté un avec toi ?

Heureusement, elle n’en avait pas. Une grande blonde m’a demandé :

-          Tu as lu le dernier Tripiak ? Encore un nom qui ne me disait rien.

-          Et toi ?

Bien vu. Elle s’est lancée dans un blabla incompréhensible, on aurait dit de l’araméen primitif, toute contente de me faire partager son point de vue sur cet écrivain promis sans aucun doute possible à un grand avenir.

-          Ce que j’aime en lui, c’est qu’il aborde des sujets intimes, difficiles, répugnants et qu’on en redemande.

-          T’as tapé dans le mille, que je lui fais en écarquillant les mirettes. On peut dire qu’il est hypermoderne.

Ce mot-là, je l’avais entendu un jour que je m’étais gouré avec l’autoradio. Je voulais écouter « les routiers sont sympas » et je suis tombé sur « le masque et la plume ». Ca fait rien, c’était bien trouvé et en situation. Au dîner, on a parlé des meilleures tables, de la région d’abord, puis de proche en proche à Lyon, à Marseille. On devait être arrivé à Manille quand j’ai entendu :

-          Oh ! Le pauvre ! Il ronfle ! Après un voyage pareil, il doit être fatigué.

Et tout le monde est allé se coucher sans histoires. Pour la première fois de ma vie, j’ai dormi dans un pyjama. Intéressant, comme expérience. Le matin, j’ai marché sur des œufs. La Lorette, elle nous a demandés :

-          Faites la liste des dix objets qui ont le plus compté dans votre vie.

J’ai pas eu de mal pour les premiers : un billet de cinq cents balles, la Harley de Mimi, mon vieux Chevignon, la patte de lapin de papa, mon verre à bière… Après, pas grave, j’ai inventé : une gourmette avec mes initiales, un T-shirt qu’on a dit qu’il avait appartenu au King, une culotte de Madonna, et pour finir, j’ai ajouté pour faire plus intellectuel : les œuvres complètes de Paul-Loup Sulitzer et le petit vin blanc par André Verschuren. Chacun a lu sa liste. Elles faisaient une drôle de tronche quand ça a été mon tour. Elisabeth, une petite brune, toute ronde et toute frisée qui me couve du regard, s’est écriée :

-          Sacré Armel, il a le don de nous faire des niches !

Alors, tout le monde a ri. Lorette a repris :

-          Même chose pour les dix personnes qui nous ont le plus marqués.

J’avais commencé, mieux valait continuer. Après Maman, of course, il y a eu Dédé et Fifi, avec qui je braquais les flippers du quartier, et puis le père Desthuiles, le con qui surveillait les HLM chez nous.. Toujours entre deux ou trois vins, un mot pour un autre, toujours à nous gueuler après. J’ai ajouté la Marie-R’née qui tenait une écurie dans la rue voisine. Rien qu’des pouliches de premier choix. C’est chez elle que je l’ai perdu, mon berlingue. Et l’adjudant Babord, un gros nullard à moustaches qui n’a jamais réussi à me coincer. On l’avait surnommé comma ça parce qu’il nous faisait penser au capitaine Haddock. C’est son chef, le lieutenant Müller qui m’a épinglé une nuit, alors que je venais de faire mes emplettes au Super-U. J’avais encore mon caddy plein et les débris de la porte en verre gisaient sur le sol. Trois mois ferme, ça m’a valu. Au trou, j’ai été présenté à Bébert la trique, qui voulait me faire tâter de la sienne. Pour y échapper, j’ai passé un deal avec lui : je faisais entrer en cabane toute la came dont il avait besoin par mon débarbot. Tiens, celui-là aussi, c’était un drôle. Tout ce qui l’intéressait, lui, c’était de trouver des débouchés pour le crack et la blanche. Ça tombait bien. A la fin, pour m’amuser, j’ai ajouté à la liste le pape et le Dalaï-Lama. Elles se demandaient si c’était du lard ou du cochon.

La matinée était finie. Quelques longueurs, quelques largeurs dans la flotte et madame est servie. La bouffe était à la hauteur du lieu et de ses habitantes. Et le jaja, un Côtes du Rhône Gigondas pas piqué des hannetons. Après, pour pas nous user trop les méninges, un petit coup de sieste. Pour ça, j’étais au niveau.

C’est alors que les athéniens s’atteignirent. Lorette, elle a pris nos noms, nos objets fétiches aussi, elle a découpé des listes et a rempli deux chapeaux. Chacune et chacun (moi) a tiré un papier dans un chapeau, puis dans l’autre. Et hardi petit, il fallait raconter une histoire.

Moi, je suis tombé sur un Jean-Ferdinand. La notice précisait : il a été mon premier amour, mon premier amant. Et pour l’objet, j’étais gâté : une brosse à cheveux. Alors j’ai écrit :

Jean-Ferdinand avait le pubis comme une brosse à cheveux. Il m’a sauté dessus. Aie ! Que j’ai fait, tu me piques !

C’est tout ce que j’ai réussi à pondre. Elles, je les voyais noircir des pages entières, l’air inspiré. Moi, je me disais : qu’est-ce qu’on peut foutre avec une brosse à cheveux ? Se carrer le manche dans le derrière, je veux bien, mais c’est pas très poli j’avais peur de choquer une aussi délicate compagnie. Vaillamment, j’ai tenu le coup les trois jours. Elles se sont résignées. Hedwige, une grande rousse excentrique de partout, a suggéré :

-          Il n’a pas la quantité, mais la qualité y est.

J’étais sauvé. Elles m’ont promu grand maître de l’école minimale. Une phrase suffisait chaque demi-journée et quand j’étais en forme, j’allais jusqu’à deux. Les filles m’aimaient bien ; elles trouvaient que je jouais le rôle d’une muse, les inspirant dans leurs créations. On se serait cru dans les femmes savantes : dis plutôt qu’il est notre museau, ma chère ! j’étais la coqueluche de ces dames. C’est à midi, le troisième jour, que les choses se sont vraiment compliquées.

-          Pour le règlement, je vous ai préparé vos notes

-          Quel règlement, j’ai murmuré, un rien naïf ?

-          Ben, vous savez bien, l’hébergement.

Ça ressemblait à un coup de Trafalgar. Il fallait que je paye deux cent cinquante-cinq euros, et pas moyen d’y couper, vu que pour sortir de là, j’avais besoin du chauffeur. Il ne me restait plus que l’après-midi pour trouver comment m’en sortir. J’ai eu l’idée de solliciter Elisabeth, la petite boulotte qui m’a poursuivi de ses assiduités tout au long du stage et que j’ai laissé gentiment faire sans pousser mon avantage, pour rien, juste parce que j’aime qu’on m’aime. Après le déjeuner, on avait de nouveau sieste. Je me suis faufilé dans les coursives et ai frappé doucement à sa porte.

-          Je n’ai pas mis la clé, entrez, m’a-t-elle crié.

J’ai obtempéré. Elle gisait en bikini sur son lit et, d’une voix rauque, m’a supplié :

-          Viens me rejoindre, mon amour.

Tu parles que j’ai pas hésité ; je lui ai peloté les seins et ai commencé à fourrager dans son slip quand elle m’a demandé :

-          Prends-moi par derrière !

J’y tenais, à mes deux cent cinquante-cinq euros. Bravement, je suis monté à l’assaut et, ma foi, j’y ai trouvé mon compte. Comme elle paraissait satisfaite de mes services, j’ai glissé :

-          J’ai oublié mon carnet de chèques. Tu voudrais pas m’avancer le fric ?

Elle m’a regardé, déçue.

-          Je me doutais d’un coup comme ça.

Pourtant, elle a saisi son carnet de chèques et en a rempli un, sans ordre, qu’elle m’a tendu.

-          Je ne te demande qu’une chose : reprends-moi par derrière.

Quand on me parle gentiment, je sais faire preuve de reconnaissance. Et puis, les rondeurs harmonieuses de ma partenaire avaient réveillé mes ardeurs. Derechef, j’ai sonné la charge.

Au beau milieu du déduit, Elisabeth m’a fait face, au risque de me blesser dans le mouvement tournant et m’a dit :

-          Bienvenue au club, chéri !

J’étais tombé sur un os.



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