Sur le fond, cette question ne me
concerne pas. Je trouvais pourtant dérangeant qu’on modifie ainsi par la loi l’institution
familiale. J’ai connu il y a quarante ans une femme qui vivait avec une autre
et était parvenue, grâce aux relations de sa puissante famille, à adopter un
enfant. Était-il traumatisé, marqué à vie d’infamie ? J’ai peine à le
croire. Mais le modèle traditionnel : père-mère-enfants restait pour moi
la norme. Le développement massif des divorces m’amenait à voir différemment la
cellule familiale. Pourtant, le père vivait en général avec une femme, pas
toujours la mère de ses enfants, et celle-ci reconstituait aussi un noyau
homme-femme pour élever les enfants. On avait du moins des substituts de familles
traditionnelles, des reconstructions au sein desquelles on pouvait penser que l’enfant
retrouvait un équilibre de pouvoirs et d’affections propice à sa croissance.
Tout cela, il est vrai, reposait
sur une image du couple harmonieuse et on sait que c’est rarement le cas. Les
liens entre un homme et une femme qui vivent ensemble se dégradent le plus
souvent, ils se transforment au gré des difficultés, des concessions moins bien
supportées à mesure que le temps passe. Il est de ce fait utopique de prétendre
qu’un couple hétérosexuel offre un havre de paix et d’équilibre incomparable. A
y regarder de près, nombreux sont les enfants qui ont grandi dans une
atmosphère de querelles, parfois de haine. Es pères ont des liens incestueux
avec leurs enfants, d’autres les battent. Dans certains pays, des parents
prostituent leurs filles et leurs fils dès leur plus jeune âge. L’image du
couple supposé former un cocon idéal pour la formation des jeunes en prend un
coup. A tout prendre, j’aurais préféré être élevé par deux femmes – ou deux
hommes – qui m’aiment plutôt que par un couple qui se déchire à cause de moi.
Tout de même, officialiser ce
qui, il n’y a pas si longtemps, passait pour une anomalie ou une déviation, il
me fallait l’accepter. Je me rappelle au début des années 80, au moment de l’apparition
du virus du SIDA, que des revues médicales expliquaient sérieusement l’homosexualité
par l’immaturité, une mère abusive ou la peur de l’autre. Autant de propos qu’on
n’oserait pas tenir aujourd’hui.
J’en étais donc là de mes
réflexions quand le gouvernement, fidèle en cela aux engagements du candidat
Hollande, a présenté au parlement son projet de loi. Je ne me sentais pas d’humeur
à exprimer haut et fort mon désaccord avec ce projet. J’étais vaguement contre,
en ayant bien conscience que cette opposition, toute molle qu’elle fût, me
rangeait au rang des réactionnaires.
C’est alors que quelques excités
ont déclenché une campagne vigoureuse contre le mariage homosexuel, appelé à
tort mariage pour tous. Rien qu’à voir les chefs des insurgés, mais aussi leurs
troupes, je n’ai pas été long à choisir mon camp. Madame Barjot qui, il n’y a
pas si longtemps, chantait : « fais-moi l’amour avec deux doigts »,
voilà une curieuse d’égérie pour les tenants de la morale traditionnelle.
Boutin, Villiers, tout le gratin du conservatisme le plus absolu. Les
manifestants dans leur ensemble, jeunes et moins jeunes issus des écoles
confessionnelles, les ligues de celles et ceux qui préfèrent la charité à la
justice. Pas un instant, je n’ai pensé rejoindre leurs rangs, même si, sur le
fond, j’étais sensible à leurs arguments, en partie du moins. Mais ils étaient
exprimés en des termes pour moi insupportables, ils reflétaient tant la bonne
conscience et l’aveuglement des leurs thuriféraires que j’ai aussitôt su de
quel bord je n’étais pas.
Sans compter
sue la droite n’avait pas été prise en traître. Hollande avait promis de le
faire une fois élu. L a gagné les élections, il tient cet engagement e
pouvoir de la rue au détriment des urnes, on sait ce que cela donne. D’autres
gouvernements ont reculé sous sa pression, de gauche comme de droite et cela à
mes yeux relève d’un souci de démagogie sans plus.
Les combats
d’arrière-garde des « veilleurs » qui espèrent faire durer leur
action jusqu’au prochain changement de majorité et qu’alors on abolira la loi
scélérate paraissent voués à l’échec. Si l’on voulait rendre à la famille sa
vertu d’origine, il faudrait avant tout revenir sur l’instauration du divorce,
programme difficile à soutenir aujourd’hui.
Il est
permis de se demander comment une infime minorité de femmes et d’hommes – on parle
de 1% de la population – est parvenue à soutenir et faire adopter une telle
mesure. Le pouvoir financier de Pierre Bergé, le jeu des lobbies ? L’appel
à la victimisation a porté, sans aucun doute et les adversaires du projet ont
tenté à leur tour de faire passer les hétéros pour des victimes d’un ostracisme
d’un nouvel ordre, avatar du front national qui crie au racisme à son encontre.
Le « combat »
des opposants au mariage homosexuel a cristallisé la coupure de la société
entre les tolérants et les extrémistes. Ils ont choisi leur camp. Je choisis le
mien.
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