Il avait conscience de la nécessité de montrer à tous sa gloire. Au
mur, au dessus de lui, il avait affiché ses diplômes, depuis son brevet jusqu’au
certificat de natation. L’ensemble couvrait la moitié du panneau. En dépit de
sa petite taille et de son embonpoint précoce, il savait rien qu’en levant la
tête inculquer à ses interlocuteurs le respect qui lui était dû.
Peu après sa prise de fonctions, il décida d’ouvrir les services dont
il avait la charge aux plus prestigieuses universités et s’était réservé la
délicate mission de choisir les étudiants les plus méritants. On découvrit vite
que ses goûts le portaient vers les jeunes filles, de préférence blondes, aux
formes harmonieuses et dont, lors de l’entretien préalable, il testait la
résistance. Son prestige, et plus encore l’ambition des candidates, les
amenaient bien vite à trouver un terrain d’entente.
Meg, un diplôme d’ingénieur en poche, suivait cette année-là le cursus
d’un MBA de l’université de Columbia. Elle avait passé avec brio le test de
sélection en croisant et décroisant les jambes et en dégrafant les deux
premiers boutons de son corsage. Sur elle, Dominique promenait de bas en haut
un regard prédateur. Il lui demanda à brûle-pourpoint :
-
Vous avez un fiancé ?
Mais comme il posa la question en anglais, on ignore s’il lui disait « vous »
ou « tu ».
Il se leva, se dirigea vers la porte d’entrée et le ferma à double
tour. Meg se disait qu’elle allait bientôt obtenir un poste de stagiaire. Elle
minauda néanmoins, juste ce qu’il fallait, à la
fois pour ménager sa pudeur et stimuler le désir de l’homme. Dix minutes plus
tard, ils se quittaient, en apparence contents l’un de l’autre.
Elle manœuvra assez finement pour qu’il devienne dépendant d’elle. Sous
des dehors de petite fille sage, elle détenait une science, un art consommé de
la manipulation des mâles et le rendit en quelque sorte esclave. Il n’eut plus
de secrets pour elle avant la fin du mois. Elle l’accompagnait chaque fois qu’il
se rendait à des sommets internationaux sous prétexte de porter ses dossiers.
Ils filaient un amour sans nuage, lorsqu’un jour elle s’enquit :
-
Qu’est-ce qu’il y a derrière cette porte ?
La question n’avait rien en soi de surprenant ou de choquant. Pourtant,
Dominique piqua aussitôt une colère bleue, une colère noire, pour tout dire une
colère multicolore.
-
Il n’est pas question que tu l’ouvres. Si tu y
touches, il t’en cuira.
Fine mouche, elle fit mine de ne plus s’y intéresser et passa le reste
de la matinée à prodiguer à son chef des soins aussi attentifs que recherchés.
Mais on devine bien que l’emportement de Dominique, sa réaction vive et
inexpliquée, avaient éveillé la curiosité de Meg. Elle parvint à rassurer
Dominique, qui continuait à apprécier les savantes reptations de sa stagiaire.
Un matin, il appela :
-
Je suis bloqué dans les encombrements. Je ne
serai pas au bureau avant onze heures, onze heures et demie.
Meg se dit alors que le moment était arrivé de découvrir le secret de
son boss. Elle s’empara du trousseau de clés qu’elle trouva dans le tiroir du
bureau. Il s’en trouvait dix-sept autour d’un anneau. Elle s’approcha de la
porte, au fond de la pièce, et essaya les clés l’une après l’autre. Aucune n’ouvrait.
Elle entreprit alors de fouiller dans les poches du pardessus accroché à la
patère. Elle y dénicha une clé qui, miracle, ouvrait la porte. Il s’agissait d’une
petite clé plate et, dès qu’elle eût ouvert le battant, elle poussa un cri d’effroi ;
sur l’étagère du placard, six têtes de jeunes filles empaillées. Meg reconnut l’une
d’elles qu’elle avait croisée l’année précédente sur le campus. Le taxidermiste
avait bien travaillé : quand on voyait ces visages, on avait l’impression
qu’ils allaient se mettre à parler. Meg voulut refermer la porte, mais la clé
tomba de la serrure.
Elle regarda par terre sans la retrouver. Elle s’agenouilla, tremblant
de terreur, pour flairer la moquette comme un chien de chasse. Rien. La clé, à
la vérité, s’était glissée dans la pliure de la porte. Meg se souvint alors qu’elle
avait demandé à deux copains de venir le chercher pour déjeuner avec elle. A
travers la cloison, elle demanda à la secrétaire :
-
Ann, tu vois Steph et Greg ?
-
Non, répondit cette dernière, qui ne se doutait pas
du drame qui se déroulait à quelques pas.
Meg jeta un coup d’œil par la fenêtre. Depuis le trente-troisième étage,
il lui sembla reconnaître la silhouette trapue de Dominique. Elle continua, en
vain, à inspecter le sol.
-
Ann, reprit-elle, tu es sûre qu’ils n’arrivent
pas ?
-
Je ne vois que le corridor qui grisaille et la
moquette qui beigit, se moqua-t-elle.
Meg entendit l’ascenseur. Elle devint verdâtre. Elle repoussa la porte
sans pouvoir la fermer et s’y appuya dans l’espoir qu’il ne remarquerait pas sa
désobéissance. Il arrivait. Et en effet, de prime abord, il ne remarqua rien.
Mais il eut soudain un soupçon et mit la main dans la poche de son manteau qu’il
trouva vide.
-
Où est la clé qui se trouvait là ? gronda-t-il
-
Je ne sais pas
-
Et cette porte, derrière toi, pourquoi est-elle
entrouverte ?
Meg claquait des dents et rapetissait à vue d’œil. Il s’approcha,
menaçant :
-
Petite curieuse, tu vas rejoindre tes collègues !
Il sortit de sous sa veste un couteau à cran d’arrêt et en joua, le
faisant passer d’une main dans l’autre.
-
Pitié, le supplia-t-elle, je vais vous montrer une
figure que le kamasoutra ignore !
C’était trop tard. Il brandit son arme et allait la lui planter dans la
poitrine quand on entendir la porte s’ouvrir grand avec fracas :
-
FBI. Mr Dominik S.K., vous êtes under arrest !
Meg rouvrit les yeux. Elle avait la vie sauve, mais elle avait perdu
son job.