mardi 17 novembre 2015

13 novembre


Déni

Ce n’est pas vrai, rassure-moi, tu n’es pas morte !
Tu ne peux pas partir d’un seul coup, de la sorte,
Nous étions venus là, au concert, tous les deux,
Tu es encore en vie, je le sais, je le veux,
Malgré le sang qui défigure ton visage,
Malgré tes yeux ouverts, les trous dans ton corsage.
Nous sommes deux, main dans la main, c’est le bonheur,
Non ce n’est pas fini, tu reviens tout à l’heure,
Dans un instant, ce sera  à nouveau la fête,
Sur mon épaule encor, tu poseras la tête.
 

Colère

Ton cœur qui ne bat plus me remplit de fureur
Celui qui t’a tuée, je veux qu’il meure
Je vais prendre un couteau, un fusil, une pierre
Pour l’envoyer au cimetière.
C’est injuste, à la fin, que lui avions-lui fait 
Pour justifier un tel forfait ?
Il ne restera pas impuni, l’inacceptable crime,
Je vengerai ta mort, chère victime.
La haine au fond de moi agit comme un poison.
J’ai perdu la raison.


Marchandage

Je me dis cependant que la vie continue
J’ai les yeux pleins de pleurs, pensant que tu es morte ;
Il se peut que demain mon chagrin s’atténue.
De nos amours, hélas ! On a fermé la porte.
Plus jamais je ne t’entendrai venir vers moi.
Souvent, quand je suis seul, dans le noir, tout est sombre.
J’aimais ton corps, j’aimais tes mains, j’aimais ta voix.
De mes amours, ne restent plus que des décombres.
Tu es morte aujourd’hui, il me faut l’accepter ;
Nous n’irons plus jamais écouter la musique,
Tu es morte, à présent, et moi qui  suis resté,
Je vivrai malgré tout, seul et mélancolique.

 
Dépression

Mais je n’ai qu’une envie : partir pour te rejoindre.
Plus jamais, nous n’aurons ces moments aériens,
Je vis dans le passé, ne vois pas demain poindre
Et je me dis enfin que la vie ne vaut rien.
Non, je n’ai pas de goût pour les joies les plus pures,
Celles qu’hier nous partagions sans nul souci.
En ma tête, sans cesse, enivrant, un murmure :
Il n’est plus temps de vivre, au revoir et merci !
L’époque est au chagrin, aux morts, aux cimetières,
Je n’ai plus qu’à quitter la terre.

 
Réconciliation

Avec les mois, pourtant, le calme est revenu.
Lorsque je pense à toi, il me vient un sourire.
Je rêve des moments où nous nous aimions, nus,
Sur ton lit, lieu chéri de nos tendres délices.
Il me semble parfois que tu es comme moi,
Que même tu pardonnes,
Et il s’en faut de peu que renaisse l’émoi.
Faut-il qu’on s’en étonne ?
 

vendredi 13 novembre 2015

ma participation à un concours de poésies


Le soir, au coin du feu, je pense aux mille choses,
Aux travaux délaissés ; pourtant, je me repose :
Demain, demain encor sera un autre jour
Hein, mon amour ?

Il ne te sert de rien de te mettre en colère
Laisse-moi donc le temps de terminer ma bière
Et si j'allais mourir aujourd'hui, dis pourquoi
M'user les doigts ?

 

Le poète inspiré nous chantait : Liberté !
Et pourtant il craignait sa femme.
Moi qui n'ai peur de rien, je passe tout l'été
A contempler briller sa flamme.

La liberté pour moi, c'est un morceau de pain
Avec un bon pot de rillettes,
C'est avoir un ami qui me donne la main
Avec qui partager la fête.

Je n'ai jamais compris pourquoi, an nom d'un dieu
Il me faut étriper mon frère.
J'ai pris du poids, de l'âge et suis devenu vieux
pourtant, toujours j'espère.

Je sais que je mourrai un jour, seul dans mon coin
Je me sens nostalgique.
La vie m'a épargné ; j'entends là-bas, au loin
Sa légère musique.


J'aime les poèmes
A la crème.
Et au rhum,
ajoute l'homme.

J'aime les poésies,
La fantaisie
Et le drame,
Ajoute la femme.

J'aime les sonnets,
Les sommets
Et les précipices
Ajoute le fils.

J'aime les ballades
En marmelade
Avec du flan
Ajoute l'enfant.


Lorsque les morts se lèveront comme un seul homme,
Quand des amours sera éteint le dernier feu
Dans un vacarme insupportable, affreux,
Quand Adam finira de digérer sa pomme,

Quand, lassé de veiller, Caïn fera un somme,
Quand du ciel aura fui toute trace de bleu,
Et que, chez les vivants, n'y aura plus pour jeu
Que le battement régulier des métronomes,

Lors nous verrons enfin naître le dernier soir,
Nos rêves envolés, oubliés nos espoirs
Et nous nous en irons traîner notre misère
Dans la fange et le sang, la souffrance et le mal.

Rien ne nous servira de pleurer et de geindre
Car c'est Satan, lui seul, qui conduira le bal.


                  Je voudrais du poème.
                  Combien en voulez-vous ?
                  Cela dépend ; c'est cher ?
                  Un prix exorbitant
         Mais on paie en nature :
         un sourire, un mot, un regard,
         Les meilleurs jours une caresse.
         Parfois aussi, mais c'est plus rare,
         On reçoit un autre poème
         Avec du rhum et de la crème
         Et on s'enivre de ses mots.


Un beau matin, Jean se leva,
Rose était là
Avec sa robe d'espagnole
Qu'est-ce qu'on rigole !
Le petit déjeuner servi
Avec envie
Il a dévoré un croissant
En rêvassant.
Et puis, il a dit à sa mère
- Quelle chimère -
Qu'il avait vu un éléphant
Sur le divan
Et qu'il n'irait plus à l'école
Elle était folle !
Mais il ne voulait rien savoir
Sous son bavoir.
Arrête toutes ces bêtises
Mets ta chemise
Si tu veux devenir savant
Il faut avant
Que tu ailles voir ta maîtresse
 

com cordem


La place de la Concorde, la nuit, il n’y a pas mieux pour éblouir les filles, premier pas vers la conquête comme un sait. Les réverbères apportent une lumière magique, dorée, l’obélisque se dresse plus imposant qu’en plein jour, les rares autos éclairent de leurs phares la chaussée, les passants émerveillés s’arrêtent un instant dans l’attente d’on ne sait quel miracle. Le regard est accroché par tout ce qui brille, par terre, en l’air. L’atmosphère, si légère, les senteurs, les bruits des véhicules qui passent au ralenti, tout concourt à endormir la vigilance des passants et à l’emmener dans une contrée lointaine proche du pays du rêve. Au fond, les façades du Crillon et du ministère de la Marine entourent la rue Royale et dans la perspective, on aperçoit les colonnes de l’église de la Madeleine. Je me rappelle être revenu à pied d’un bal avec ma cavalière, car mes moyens ne me permettaient pas de lui offrir un taxi ; nous avions traversé la Seine bras dessus, bras dessous, juste assez amoureux pour conférer à la situation un caractère un peu clandestin. Elle rêvait à la vue de ce spectacle dont rien ne lui échappait. Elle écarquillait les yeux et tournait la tête sans arrêt, sous le charme. J’avais le cœur qui battait plus fort qu’à l’accoutumée et les yeux qui ne la quittaient pas, au risque de l’incommoder. Il en aurait fallu bien davantage dans l’état second où elle se trouvait. L’air était clément, la brise caressante, le ciel dégagé offrait à la lune un décor de théâtre.

Nous n’avions ni passé, ni futur, ni contraintes, ni besoin autre que se trouver sur la place, l’un à côté de l’autre, main dans la main, légers. Les sculptures monumentales qui constellent l’endroit et qui symbolisent les grandes villes de France nous regardaient, j’en suis sûr, avec bienveillance.

 

Elisabeth me murmurait : « Viens, on va remonter les Champs-Elysées » et elle se mit à fredonner une chanson de Joe Dassin alors à la mode. Prémonitoire, elle s’achevait par ces mots : « et on n’a même pas pensé à s’embrasser ». Dieu sait pourtant que c’était là ma principale volonté, mais elle riait, virevoltait et me rendait l’approche délicate. S’appelait-elle Elisabeth, d’ailleurs, je n’en suis plus très sûr ; Henriette, peut-être, car elle venait du Mans si ma mémoire ne me joue pas des tours, mais après tout, qu’importe ! Sur sa suggestion, nous avons marché plus d’une heure en dépit de l’heure avancée. Après le chemin parcouru depuis le bal, et compte tenu de la soirée passée à danser, boire un peu, parler fort pour couvrir le vacarme ambiant, nous avions les jambes lourdes en revenant place de la Concorde. Fourbus et heureux à la fois. L’aube pointait et un devinait le jour proche. La promenade avait achevé de nous épuiser, et malgré la vigueur de ma jeunesse, en arrivant au pied de l’immeuble où elle demeurait, je me sentis saisi d’une irrépressible envie de dormir. Aussi, après avoir pris soin qu’elle ferme derrière elle la porte cochère, je me dirigeai vers mon domicile.

 

 

M’étais-je endormi ? Sans doute. Je me trouvais à nouveau sur la place, lais en plein jour cette fois. La tiédeur de juin avait cédé la place à un froid glacial. Il avait neigé dans la nuit et on apercevait çà et là des traces où le blanc le disputait au noir.  Nul obélisque au centre, nulle statue non plus, juste un espace gigantesque, une vaste plaine noire de monde. Des hommes, des femmes, des enfants se pressaient pour assister à un spectacle au centre de l’esplanade.

-         Comment es-tu venue place Louis XV ? Demanda un jeune garnement à sa voisine, une petite rousse délurée.

-         Eh ! Dis-donc, ça ne s’appelle plus comme ça. C’est la place de la Révolution, maintenant.

Elle portait un fichu bariolé, noué aux coins qui lui servait de sac à main et qui devait recéler quelques secrets, du fard à joues à en croire ses pommettes rubicondes, et peut-être un carnet sur lequel elle notait ses impressions et ses amourettes.

 

Un homme s’était installé, près de la grille des Tuileries, avec un brasero sur lequel il faisait rôtir des châtaignes. Des enfants tournaient autour pour profiter de la chaleur émise par le feu. Il criait de temps à autre dans l’espoir de se faire entendre malgré le brouhaha :

-         Chauds, les marrons, chauds !

Et lorsqu’un client s’approchait pour s’en régaler, il prenait les petites boules brunes avec une pince en bois pour remplir un cornet de papier.

 

Soudain, de la rue de Rivoli, la Garde Nationale fit son apparition, montée sur de splendides alezans et vêtue d’uniformes bariolés et rutilants. A sa suite, une charrette sur laquelle un gros homme, l’air débonnaire, absent comme si rien de cette manifestation ne le concernait, était maintenu par des soldats. Non sans mal, ils parvinrent à se frayer un chemin jusqu’à l’endroit où, la veille, des employés municipaux avaient érigé un étrange édifice tout en hauteur. La foule grondait de plus en plus fort ; un groupe de jeunes gens, garçons et filles, hirsutes et vêtus de hardes dépenaillées, entonna une chanson au rythme martial et dont la mélodie, assez simple, pouvait se retenir sans peine :

« Monsieur Véto avait promis, monsieur Véto avait promis

« D’être fidèle à son pays, d’être fidèle à son pays.

« Mais il y a manqué, ne faisons plus quartier !

« Dansons la Carmagnole, vive le son, vive le son,

« Dansons la Carmagnole, vive le son du canon.

De proche en proche, les badauds reprenaient le refrain dans une abominable cacophonie, des femmes criaient d’une voix suraigüe, le bruit s’amplifiait, des malins profitaient de l’aubaine pour vendre des crêpes et des verres de vin chaud. Au milieu de toute cette populace, des vide-goussets s’étaient sans aucun doute insinués. Bien qu’on fût en janvier, la température montait rapidement. Les parisiens qui se bousculaient dans l’espoir d’apercevoir l’estrade ne sentaient plus la morsure du froid. Des filles habillées de jupes multicolores et de corsages aux échancrures généreuses, emmenées par de jeunes voyous venus du Faubourg Saint-Antoine ou du Faubourg Saint-Martin, se mirent à danser comme les paroles de la chanson les y invitaient. Le prisonnier gravit les marches qui le menèrent à une plate-forme exigüe. Il avait gardé sa dignité, on l’aurait dit indifférent à tout ce tumulte, si bien que les militaires qui l’accompagnaient lui témoignaient un respect probablement involontaire. Un civil, mieux mis que les autres et la tête coiffée d’un absurde bicorne orné d’une cocarde tricolore, commença à lire à voix haute une déclaration, mais les hurlements, aux alentours, devenaient si forts que seuls les premiers rangs parvinrent à identifier quelques mots. Il levait haut la tête, semblait imbu de son pouvoir. Il replia le papier où devait se trouver inscrit le texte de sa harangue, recula pour laisser la place à un prêtre. Ce dernier n’avait pas l’air d’apprécier son rôle. Il s’approcha du gros homme, un pauvre sourire aux lèvres. On reconnaissait son état à sa soutane et au livre qu’il tenait à la main – un recueil de prière à n’en pas douter.

 

Le gros homme, le regard las, lui fit signe qu’il ne souhaitait pas son assistance. Les gens trépignaient, criaient des insultes ou de sinistres plaisanteries. Un personnage aussi large que haut, qu’on aurait bien vu tenir une taverne dans un quartier louche, lui lança :

-         Alors, quand vas-tu y passer le cou ?

Mais non loin de lui, un garçonnet s’écria si fort que les gens l’entendirent :

-         Vive le roi !

Des hommes l’entourèrent, indignés, et s’apprêtaient à lui faire un mauvais sort. La mère du bambin, qui n’avait pas dix ans, s’interposa :

-         Pardonnez-lui, citoyens, il est bien jeune et il avait appris à crier « vive le roi » ici-même, le jour du sacre.

-         Eh ! Bien, citoyenne, il n’est jamais trop tôt pour reconnaître les tyrans

Par bonheur pour la femme et son fils, leur attention fut soudain attirée par un roulement de tambours. Un chauve, qui avait sans aucun doute commencé à fêter l’événement dans un bouge, crut bon d’ajouter :

-         On va t’apprendre à honorer Monsieur Véto !

 

Mais les choses en restèrent là. On attendait la mise à mort, et la horde se poussait pour voir et entendre. C’était une invraisemblable bousculade. Les marchandes de poisson empestaient le merlan, d’autres la sueur, on marchait sur les robes trop longues, il n’était plus question de rester à proximité de celle ou celui qui, naguère, vous accompagnaient.

 

*                              *

 

J’étais si absorbé par ce spectacle que je n’entendis pas mon père ouvrir la porte de ma chambre. Il eut un mouvement de recul à la vue du désordre qui y régnait. Je m’étais affalé sur le lit sans prendre soin d’ôter mes vêtements. Ce furent ses cris qui m’éveillèrent :

-         Enfin, Louis ! Tu as perdu la tête !

lundi 6 avril 2015

Houx brimés


Sujet : le printemps.

Rimes : Cueille, fraise, feuille(s), aise.

Viens avec moi, mon amour, viens et cueille

Des milliers de fleurs, et aussi des fraises,

Cueille-les sans rien, escargot ni feuille,

Nous pourrons les déguster à notre aise.

 

Sujet : naissance

C’est le grand jour : la mère

Met au monde un marmot.

Personne ne dit mot,

On rêve de chimère.

 

Ou encore :

L’amour pour elle était une chimère,

Elle partit avec lui pourtant sans dire un mot

Et neuf mois après, la voilà mère

D’un joli marmot

 

Sujet : La pensée

Quand de ma vie brille les derniers feux,

Lorsque je m’en vais – ô coquin de sort –

Sans penser à rien, je suis bien trop vieux,

Toute la journée je mange et je dors.

dimanche 29 mars 2015

coucou

quand il fait beau et que la santé va, je sais que Dieu existe. Il est par malheur parfois aux abonnés absents. Un dieu à éclipse, voilà qui est poétique, non?

mardi 24 mars 2015

Il faut laisser Lucie faire

Mon Dieu ! Comme elle était gentille, Lucie ! Elle approchait les quatre-vingt cinq ans, et après avoir élevé sept enfants, elle avait servi de nounou à huit de ses petits-enfants ; une vie qu’elle avait consacré aux autres et en apparence il ne lui en avait pas coûté.

Qui la voyait pour la première fois n’avait aucun mal  à imaginer combien elle avait été belle. Derrière ses rides et au-delà de ses cheveux blancs, de ses seins rabougris et de sa silhouette sans forme, on voyait aussitôt la grâce et la jeunesse, sans qu’elle ait besoin de se forcer. On lui avait prêté de nombreux amants et elle s’était amusée à laisser courir ces légendes.

Elle avait tant aimé ses descendants qu’il ne se passait pas un seul jour que l’un ou l’une d’entre eux fasse un détour pour passer avec elle un bon moment. Luc, son arrière-petit-fils, y venait plus d’une fois par semaine. Il allait sur ses quinze ans et adorait quand Lucie racontait comment, pendant la guerre, elle jouait au chat et à la souris avec les allemands. Ou que sa mère l’envoyait au lavoir le jeudi. Ou encore les jeux dans la cour de l’école, la marelle et l’élastique.
Un jour qu’elle se sentait vraiment en confiance, elle dit à son arrière-petit-fils :

-          Je voudrais te demander quelque chose, mais il faut que ça reste entre toi et moi.

-          Ben voyons, pas de prob’, Mémé Lucie.

Il était libre dans ses propos, beau comme un Apollon. Elle sourit et, forte de son encouragement, poursuivit :

-          Il y a des tas de choses que je n’ai pas eu le temps, ou l’argent, de faire : visiter l’Île de Pâques ou déjeuner à Beaumanières. Mais je vais te dire : ça ne me manque pas. Au lieu de ça, je me suis occupée de vous et ça, c’était le bonheur. Votre amour vaut mieux que mille voyages, mille repas, mille bouteilles de vin fin. Tu vas rire : il y a quelque chose que j’aimerais bien connaître avant de vous quitter. Tu sais quoi ?

Ce disant, elle arborait un sourire énigmatique, comme si elle préparait une bonne blague. IL dit juste :

-          Ben, non.

Il faut dire que le Luc, s’il avait de grandes qualités de cœur, manquait d’imagination. Et puis ,le moyen, pour un adolescent, d’enfiler les chaussures d’une vieille dame ! Pourtant, sa curiosité avait été éveillée.

-          Alors, c’est quoi ?

Elle s’approcha de lui pour lui murmurer à l’oreille :

-          Je voudrais fumer mon premier pétard.

Pour Luc, qui pourtant ne s’étonnait pas facilement, ce fut un coup de tonnerre. Il regarda Lucie d’un air dubitatif.

-          C’est pas vrai !

Elle se ferma, car elle craignait d’avoir été mal entendue. Elle se disait qu’elle avait présumé de la liberté du garçon.

-          Tant pis, n’en parlons plus, dit-elle à regret.

Il saisit alors le cocasse de la situation et, pour le coup, eut conscience que c’était lui, le vieux.

-          Mémé Lucie, tu vas peut-être avoir du mal à me croire, mais j’ai jamais fumé de shit. T’en fais pas,  j’ai des copains qui connaissent.

Et trois jours plus tard, il s’approchait de la maison de Lucie, cachant dans son cartable l’objet du désir de son ancêtre. Ils filèrent dans le salon, s’assirent devant la cheminée. Il alluma le pétard, puis le lui passa. On aurait dit qu’ils sacrifiaient à quelque rite sacré.

-          C’est comme le calumet de la paix, rigola-t-il.

Elle tira quelques bouffées, toussa, pleura un peu, le lui rendit. Il n’avait pas vraiment envie de fumer un joint. Il se força néanmoins pour partager avec elle le plaisir défendu.

Bravement, ils allèrent jusqu’au bout.

-          Finalement, conclut-elle, ce n’était pas si terrible.

Et longtemps, il se demanda ce qu’elle entendait par là.

Recyclage


 
Qu’il soit de porcelaine ou de terre ou  bien d’ambre,
Il est trop délaissé, le pauvre pot de chambre !
Il s’écrie : c’est un vrai manque de pot,
J’aurais pu naître éléphant ou chapeau,
Ou j’aurais pu orner un pied de ballerine,
Il fallait que je serve à recueillir l’urine !
Je vous fais grâce enfin de la constipation,
Des péteurs acharnés, des jets à réaction,
Moi qui aurais aimé – où avais-je la tête ?
Vivre comme un esthète.
Et le pire aujourd’hui est qu’on m’a oublié
Avec de vieux rideaux dans le fond d’un grenier.
Déjà, quand je servais, cela manquait de grâce
D’être toujours celui auprès de qui l’on passe
Et sur qui on s’assied lorsque vient le besoin.
Certes, je n’étais pas l’objet de tous les soins,
Mais j’avais mon utilité, quoi qu’on en dise.
Lorsqu’on venait à moi quand la nuit était grise ;
On rêvait quelquefois, on me parlait tout bas,
En croyant bien à tort que je n’entendais pas.
Combien vous m’avez fait de tendres confidences
Quand vous veniez vous soulager après la danse.
J’entendais vos émois entre deux pets sonores,
Mais personne à présent, personne ne m’honore.
Ah ! Je rêve d’un jour où un preux chevalier
D’un geste aventureux viendra me réveiller.

Ou peut-être un beau jour, un malin antiquaire
Astiquera mes flancs, m’emmènera pour faire
Le beau, porte de Clignancourt. Ah ! Quel bonheur !
Je servirai peut-être alors de pot de fleurs.

lundi 16 mars 2015

beaucoup de bruit pourquoi?


Armel Bazin                                                                                                                                                                                                                                   Le 16 mars 2015

Le Moulin de la Vallière

37380 Reugny

 

 

Madame,

J’ai reçu dernièrement une sollicitation de l’association « la manif pour tous » accompagnée d’une lettre signée par vous qui a retenu mon attention. La fameuse loi dite Taubira m’a en effet rendu perplexe. Je ne voyais pas pourquoi la bonne conscience de quelques milliers de citoyens entraînait la modification de notre code civil. J’aurais de ce fait été tenté de soutenir ceux qui la combattent s’il n’y avait eu cette « manif pour tous » qui traînait autour d’elle je ne sais quel parfum délétère. La première militante contre le mariage homosexuel, madame deux doigts, s’était pour la circonstance métamorphosée de nymphomane en dame patronnesse. Vous êtes mieux dans le rôle de la conservatrice attachée à la structure passée de la société, particulée par surcroît, une parfaite représentante de votre classe sociale.

On sent dans vos arguments des relents de rejet, voire de haine, envers celles et ceux qui vivent différemment. Les homophobes ont fait bien du tort à votre cause. Je ne saurais en aucun cas mêler mes gestes, mes propos et mon argent à ceux des porteurs de mépris et de haine. Me direz-vous, rien dans vos propos ne sous-entend pas ces sentiments déplaisants. Vous conviendrez avec moi que l’exclusion et le rejet font partie de l’arsenal de vos soutiens. S’il m’est difficile d’accepter le mariage homosexuel, je préfère encore cette voie à la solution, peu chrétienne à mon sens, de ceux qui veulent le maintien des règles discriminatoires.

Que la loi Taubira trouve son accomplissement dans l’acceptation de la PMA et de la GPA, c’est sans doute le cas. Vos amis proclamaient que plutôt que d’avorter, il fallait développer des structures d’accueil pour les enfants non désirés. N’est-ce pas un peu semblable : ces enfants nés sans père, sans mère, ou avec trop de pères ou de mères, peut-être faut-il les aimer avant tout. Votre discours sur les enfants heureux avec un père et une mère ne me convainc pas. Je connais un peu les gens « de bonne famille », assez pour savoir combien ils ont peur de tout changement. Alors, je me secoue pour échapper à la part de mon éducation rigide et frileuse. Ce n’est pas toujours facile, croyez-le. Il est souvent plus confortable de se draper dans ses certitudes et de refuser d’ouvrir les yeux ou de réfléchir.

Pardonnez, madame, ma lettre un peu polémique. Je me demande pourquoi une femme jeune et jolie, sur le berceau de laquelle les bonnes fées se sont sans doute penchées, se lance dans une telle aventure. Pourquoi s’en prendre aux homosexuels plutôt que défendre les femmes battues ou les enfants martyrs, voire les immigrés chassés par tous. Quelle blessure, quelle assurance d’être dans son droit, quelle morgue ?

Je vous présente, madame, mes hommages respectueux.

Armel Bazin

dimanche 15 mars 2015

Marple is not Marble



La malade qui raconte mes aventures semble penser que je demeure insensible à tout. Elle ignore, cette mal baisée, que moi aussi j’ai des émois, que je ne reste pas indifférente aux charmes des vieux messieurs et parfois même à ceux d’hommes plus alertes. Tenez, l’autre jour, je me trouvais à Sainte Mary Mead, à côté du superintendant Jones. Quel beau garçon, celui-là ! Il porte l’uniforme avec une prestance inouïe. Je me tenais à côté de lui sans rien oser dire. Quand il parlait, j’en étais remuée au tréfonds de mon être. Je sentais palpiter mes viscères et en oubliais toute décence. Madame Simpson, la femme du major, que tout accusait, m’a regardée avec des yeux inquisiteurs, comme s’ elle n’avait jamais été amoureuse. Jones, pourtant, n’a pas, je crois, encore atteint la quarantaine. Ses moustaches se dressent pour un oui ou pour un non, et j’imagine que tout son être est à ce moment saisi d’une vigueur nouvelle. Ma poitrine, ma grosse poitrine que la plupart des gens imaginent paisible et inerte, se durcit soudain et les tétons se dressent, me causant un vif désarroi, tant je redoute qu’on remarque autour de moi le trouble dans lequel je me confonds.

Jones ouvre la bouche et livre à l’assistance ses conclusions. Chaque mot de lui me fait frissonner, j’aime la tonalité de sa voix, ses suaves modulations ; j’aime sa retenue, la pudeur de ses sentiments. On a beau me faire passer pour une vieille fille ménopausée, je tressaille à chacune de ses inflexions. Il ne jette pas sur moi un seul regard mais je sais bien que c’est pour m’épargner la honte de voir ainsi livrées à la foule indigne des inclinaisons dont la délicatesse ne saurait être comprise du vulgaire. Il ne me regarde pas un instant, mais je sais qu’il ne pense qu’à moi. Quand il dit à Lady Bracknell : Vous avez des choses à me dire, je sais bien qu’en réalité il s’adresse à moi. Et comme lui aussi, par jeu, a renoncé à me parler directement, je n’ai pas répondu à son invite pour pressante qu’elle fût. Les battements de mon cœur devaient à cet instant atteindre une intensité telle qu’il ne pouvait les ignorer. D’ailleurs, j’ai vu ses joues se couvrir soudain d’un rose vif, qui m’a évoqué aussitôt l’étal de Marks, notre boucher. Ses yeux se brouillaient, sa main tremblait.

Jones, vous êtes mien, lui disais-je en silence, et j’entendais qans qu’il s’exprime le superintendant me répondre : oui, miss Marple, je suis vôtre. J’aime votre présence chaude près de moi, votre parfum, j’aime l’arrondi de vos joues et de vos hanches, j’aime vos seins généreux, j’aime ce qu’on devine de votre intimité inviolée. Miss Marple, je vous veux mienne. Venez me rejoindre au commissariat. Je vous prendrai dans mon bureau, sur mon bureau. Nous connaitrons tous deux une extase que les humains ordinaires ignorent. Daisie chérie(c’est mon deuxième prénom), jamais avec nulle autre je n’ai rencontré pareille harmonie, nous allons enfin partager le plaisir absolu et vivre dans le bonheur.

Alors, je me sentis légère. Les années disparaissaient. J’avais vingt ans, tout m’était possible. Je jetai à Lady Bracknell un regard méprisant : vile créature, vous ignorez ce qu’aimer veut dire. Moi seule connaît le secret de ce moment d’exception. Nous n’appartenons pas à la même race. Je me sentais pour l’heure l’égale des dieux. Jones continuait à parler et chacun de ses mots me conduisait au paradis bien que mes transes m’interdissent d’en percevoir le sens.

Combien de temps dura mon extase, je ne saurais le dire. Tout à coup, j’entendis « Eh ! Bien, Miss Marple, qu’avez-vous à ajouter ? » Je repris conscience et la réalité me parut bien terne. J’étais assise dans le salon du major, un vieux militaire engoncé dans sa fatuité, ,dont la femme, de vingt ans plus jeune, était soupçonnée d’avoir empoisonné la femme du pasteur. Lady Bracknell, une aristocrate acariâtre ridicule qui dirigeait en fait la paroisse, l’avait surprise dans les bras du prélat. Par parenthèse, je tiens à préciser que ce dernier n’avait guère d’atout pour prétendre au titre de Mr Sainte Mary Mead. Il fallait que la femme du major eût bien des insatisfactions conjugales pour se consoler avec l’ecclésiastique.

J’avais des doutes quant à la culpabilité de la femme du major. Je la regardai au fond des yeux pour lui demander :

-          Mais comment pouvez-vous aimer un tel avorton ?

Elle répondit avec les intonations de l’innocence :

-          Mais enfin, je ne l’aime pas ; je ne l’ai jamais aimé !

Lady Bracknell, drapée dans son autorité naturelle, lui jeta :

-          Je vous ai pourtant vue dans ses bras !

La pauvre femme se mit à pleurer, preuve de son innocence. C’est alors que le pasteur, resté muet jusqu’alors, prit la parole :

-          C’est vrai qu’elle n’a pas répondu à mes avances.

Des exclamations fusèrent :

-          Mais alors, qui l’a tuée ?

-          Ce n’est pas possible !

-          Oh ! La pauvre !

Sans qu’on sût jamais de qui il s’agissait. Lady Bracknell, plus noble que jamais, nous avoua alors l’incroyable vérité :

-          Eh ! Bien, c’est moi qui ai tué l’exécrable femme du pasteur. Elle ne voulait pas accorder à son mari la liberté de m’épouser.

Là, je dois le dire, je suis restée comme deux ronds de flan.

lundi 23 février 2015

Cami Salobres

J'habite earrer Cami Salobres pour le mois. Et j'ai imaginé la biographie de ce Cami Salobres: un espagnol né en 1872 et mort en 1927. Un matcho quo consommait les femmes sans les aimer vraiment, un soutien se la monarchie et de l'église, Un homme dont personne ne se souviendrait s'il n'y avait sa rue à El Verger.

les silences d'Oliver

Le beau testament d'Oliver Sacks, traduit par mes soins, comporte deux lacunes qui m'intriguent.
En premier lieu, il n'y est jamais fait allusion à une quelconque vie après la mort. Dans un pays aussi religieux que les Etats-Unis, c'est surprenant. Je dois dire que j'admire ce détachement de toute croyance irrationnelle. Je ne pense pas être capable d'une telle liberté de penser. Je me sens conditionné par mon éducation et la pensée ambiante. Mais tous comptes faits, il s'agit là d'une admiration de ma part.
L'autre "oubli" concerne la descendance. J'ignore si Oliver Sacks a eu des enfants, car il n'y fait jamais allusion et je pense qu'en rédigeant min testament, je ne pourrais me retenir de faire une place à part à mes quatre fils et leurs enfants.
Faut-il en conclure qu'Oliver Sacks a un solide fond d'égoïsme, qu'il vit détaché de tout lien fort  avec ses semblables? Je n'en suis pas sûr. Je pourrais pousser ma quête d'informations plus loin pour savoir si oui ou non il a eu des enfants, mais en définitive, ce flou artistique me plaît davantage; j'ai toujours méprisé ceux qui veulent à tout prix savoir si Alphonse a conclu avec Julie Charles. Le mystère fait partie de la vie!

dimanche 22 février 2015

chère et curieuse amie



Tu veux savoir à quoi je passe le temps ici. Tu ne vas pas être déçue. Je m’éveille vers 8h, prends mes médocs et mon petit déjeuner, copieux : œuf à la coque, yaourt, fruit, café, tartines. Puis, je me recouche en regardant télématin, une émission à laquelle je suis fidèle depuis une vingtaine d’années et souvent me rendors. Puis, je me lève à nouveau. Tu remarqueras au passage que, comme Louis le quatorzième du nom, je procède à un petit lever et à un grand lever. Je m’habille sans passer par la case salle de bains, car je pars marcher deux heures. De retour, bain, déjeuner pas trop chargé, arrosé d’un verre de vin. Puis, sieste, le moment le plus agréable, puis, je repars marcher et accomplis des travaux légers, du genre écrire des cartes postales. Il m’arrive d’aller à midi et demie à la piscine nager 500m. Ensuite, je regarde des jeux plus ou moins amusants à la télévision, comme Questions pour un champion, je prends l’apéro, j’oublie régulièrement mes médocs du soir, on dîne et on regarde la télévision quand le programme s’y prête. Sinon, je vais lire ou faire des mots croisés. Ne me dis pas que c’est une honte de ne rien faire comme ça, je le sais et ai voulu ce moment d’inanité.

Le pays ici est plutôt plaisant à regarder, des collines qui longent la côte. Celle-ci a été entièrement envahie par des petites maisons de vacances. Le tourisme semble la première ressource du lieu. En février, il n’y en a pas trop. Juste quelques couples de retraités, en majorité allemands.

Les gens, ici, n’entretiennent pas le paysage : au milieu du village, d’immenses terrains vagues avec des roseaux, des cactus, des plastiques et bouteilles vides.

A deux cents mètres de ma maison, deux magasins : un bazar chinois où on peut trouver de milliers d’objets dont le prix oscille entre 50 centimes et 5 euros. J’ai trouvé aux environs d’autres souks de ce type et me demande comment il se fait que les commerçants chinois n’aient pas encore envahi le Val de Loire.

Voilà. La journée d’un paresseux ; Un mois  de pure jouissance dans ma vie.