dimanche 15 mars 2015

Marple is not Marble



La malade qui raconte mes aventures semble penser que je demeure insensible à tout. Elle ignore, cette mal baisée, que moi aussi j’ai des émois, que je ne reste pas indifférente aux charmes des vieux messieurs et parfois même à ceux d’hommes plus alertes. Tenez, l’autre jour, je me trouvais à Sainte Mary Mead, à côté du superintendant Jones. Quel beau garçon, celui-là ! Il porte l’uniforme avec une prestance inouïe. Je me tenais à côté de lui sans rien oser dire. Quand il parlait, j’en étais remuée au tréfonds de mon être. Je sentais palpiter mes viscères et en oubliais toute décence. Madame Simpson, la femme du major, que tout accusait, m’a regardée avec des yeux inquisiteurs, comme s’ elle n’avait jamais été amoureuse. Jones, pourtant, n’a pas, je crois, encore atteint la quarantaine. Ses moustaches se dressent pour un oui ou pour un non, et j’imagine que tout son être est à ce moment saisi d’une vigueur nouvelle. Ma poitrine, ma grosse poitrine que la plupart des gens imaginent paisible et inerte, se durcit soudain et les tétons se dressent, me causant un vif désarroi, tant je redoute qu’on remarque autour de moi le trouble dans lequel je me confonds.

Jones ouvre la bouche et livre à l’assistance ses conclusions. Chaque mot de lui me fait frissonner, j’aime la tonalité de sa voix, ses suaves modulations ; j’aime sa retenue, la pudeur de ses sentiments. On a beau me faire passer pour une vieille fille ménopausée, je tressaille à chacune de ses inflexions. Il ne jette pas sur moi un seul regard mais je sais bien que c’est pour m’épargner la honte de voir ainsi livrées à la foule indigne des inclinaisons dont la délicatesse ne saurait être comprise du vulgaire. Il ne me regarde pas un instant, mais je sais qu’il ne pense qu’à moi. Quand il dit à Lady Bracknell : Vous avez des choses à me dire, je sais bien qu’en réalité il s’adresse à moi. Et comme lui aussi, par jeu, a renoncé à me parler directement, je n’ai pas répondu à son invite pour pressante qu’elle fût. Les battements de mon cœur devaient à cet instant atteindre une intensité telle qu’il ne pouvait les ignorer. D’ailleurs, j’ai vu ses joues se couvrir soudain d’un rose vif, qui m’a évoqué aussitôt l’étal de Marks, notre boucher. Ses yeux se brouillaient, sa main tremblait.

Jones, vous êtes mien, lui disais-je en silence, et j’entendais qans qu’il s’exprime le superintendant me répondre : oui, miss Marple, je suis vôtre. J’aime votre présence chaude près de moi, votre parfum, j’aime l’arrondi de vos joues et de vos hanches, j’aime vos seins généreux, j’aime ce qu’on devine de votre intimité inviolée. Miss Marple, je vous veux mienne. Venez me rejoindre au commissariat. Je vous prendrai dans mon bureau, sur mon bureau. Nous connaitrons tous deux une extase que les humains ordinaires ignorent. Daisie chérie(c’est mon deuxième prénom), jamais avec nulle autre je n’ai rencontré pareille harmonie, nous allons enfin partager le plaisir absolu et vivre dans le bonheur.

Alors, je me sentis légère. Les années disparaissaient. J’avais vingt ans, tout m’était possible. Je jetai à Lady Bracknell un regard méprisant : vile créature, vous ignorez ce qu’aimer veut dire. Moi seule connaît le secret de ce moment d’exception. Nous n’appartenons pas à la même race. Je me sentais pour l’heure l’égale des dieux. Jones continuait à parler et chacun de ses mots me conduisait au paradis bien que mes transes m’interdissent d’en percevoir le sens.

Combien de temps dura mon extase, je ne saurais le dire. Tout à coup, j’entendis « Eh ! Bien, Miss Marple, qu’avez-vous à ajouter ? » Je repris conscience et la réalité me parut bien terne. J’étais assise dans le salon du major, un vieux militaire engoncé dans sa fatuité, ,dont la femme, de vingt ans plus jeune, était soupçonnée d’avoir empoisonné la femme du pasteur. Lady Bracknell, une aristocrate acariâtre ridicule qui dirigeait en fait la paroisse, l’avait surprise dans les bras du prélat. Par parenthèse, je tiens à préciser que ce dernier n’avait guère d’atout pour prétendre au titre de Mr Sainte Mary Mead. Il fallait que la femme du major eût bien des insatisfactions conjugales pour se consoler avec l’ecclésiastique.

J’avais des doutes quant à la culpabilité de la femme du major. Je la regardai au fond des yeux pour lui demander :

-          Mais comment pouvez-vous aimer un tel avorton ?

Elle répondit avec les intonations de l’innocence :

-          Mais enfin, je ne l’aime pas ; je ne l’ai jamais aimé !

Lady Bracknell, drapée dans son autorité naturelle, lui jeta :

-          Je vous ai pourtant vue dans ses bras !

La pauvre femme se mit à pleurer, preuve de son innocence. C’est alors que le pasteur, resté muet jusqu’alors, prit la parole :

-          C’est vrai qu’elle n’a pas répondu à mes avances.

Des exclamations fusèrent :

-          Mais alors, qui l’a tuée ?

-          Ce n’est pas possible !

-          Oh ! La pauvre !

Sans qu’on sût jamais de qui il s’agissait. Lady Bracknell, plus noble que jamais, nous avoua alors l’incroyable vérité :

-          Eh ! Bien, c’est moi qui ai tué l’exécrable femme du pasteur. Elle ne voulait pas accorder à son mari la liberté de m’épouser.

Là, je dois le dire, je suis restée comme deux ronds de flan.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire