Mon cher Antoine,
Je vous appelle ainsi
car Tonio me semble trop familier. L’admiration que je voue à votre personne,
votre vie, votre mort, avaient fait de vous une icône un peu encombrante. Une
anecdote pourtant mettait un bémol à cette idolâtrie : ma femme, enfant,
dans les années cinquante, avait une amie lointaine parente de votre famille
mais qui portait le même nom. Elle faisait un séjour chez son amie et a vu,
dans un couloir, au dessus d’une porte, le portrait d’un homme aux trois-quarts
dissimulé dans l’obscurité. Elle a demandé qui était représenté et on lui a
répondu que c’était Antoine de Saint-Exupéry sur un ton à décourager toute
investigation supplémentaire.
Vous n’étiez donc pas
persona grata pour les vôtres, sans doute en partie à cause de votre mariage avec
la sulfureuse Consuelo. L’hostilité s’est d’ailleurs poursuivie au-delà de
votre mort et on a vu, quand les droits sur vos œuvres ont cessé d’être
défendus par votre veuve, la famille avide autoriser la commercialisation de
dizaines d’objets, la mise sur le marché du Petit Prince. Pauvre Saint-Ex
victime des mercanti !C’est votre courage, votre goût pour l’action comme votre spiritualité qui font que je me sens proche de vous. Comme il fait bon réentendre les phrases douces qui pansent les blessures de la vie. « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante », « on ne connaît que les choses que l’on apprivoise », ou encore : « il y a un puits, quelque part, dans le désert… »
Cette musique
apaisante a bercé mon enfance et aussi toute mon existence. Comme vous, je me
suis parfois emporté, comme vous sans doute j’ai commis des actes violents,
comme vous il m’est arrivé de souhaiter du mal à quelqu’un.
J’ai aimé qu’avant de
reprendre du service pour la France vous ayez jugé bon de prendre du recul.
Vous aviez plus de
quarante ans lorsque vous avez écrit votre chef d’œuvre, nous fournissant la
preuve qu’après les années, les joies, les épreuves, reste au fond de nous
l’espérance de l’enfance. J’aime penser cela, à l’heure où des hommes perdus
sèment la terreur et ont l’air de n’avoir plus rien d’humain. Ne pas
désespérer, chercher en chacun de nos frères ce qui le rapproche de nous.
Christian de Chergé qui, comme vous, aimait l’Afrique, a voulu par avance se
rapprocher de celui qui allait l’égorger.
Et si, dans la phase
finale de ma vie que j’aborde à présent, il m’arrive de me demander à quoi peut
bien servir de passer sur terre, vous venez me consoler : « J’y
gagne à cause de la couleur des blés ».
Antoine, je vous
embrasse. Merci d’avoir été. Merci pour le Petit Prince. Je vous aime.
Armel
2015