vendredi 16 janvier 2015

Lettre à Antoine

La liste est longue des écrivains qui ont contribué à faire de moi l’homme que je suis. D’Homère à Georges Perec, de Montaigne à Dostoïevski.  Comment en choisir un dont la lecture m’aurait touché au plus profond ? Pour des raisons qui me sont propres, j’ai décidé que ce serait Saint-Exupéry, parce que lorsque j’ai lu le Petit Prince, quand je n’étais pas encore adolescent, il me souvient encore des circonstances, et je connais par cœur plus d’une page de ce livre magique.

Mon cher Antoine,
Je vous appelle ainsi car Tonio me semble trop familier. L’admiration que je voue à votre personne, votre vie, votre mort, avaient fait de vous une icône un peu encombrante. Une anecdote pourtant mettait un bémol à cette idolâtrie : ma femme, enfant, dans les années cinquante, avait une amie lointaine parente de votre famille mais qui portait le même nom. Elle faisait un séjour chez son amie et a vu, dans un couloir, au dessus d’une porte, le portrait d’un homme aux trois-quarts dissimulé dans l’obscurité. Elle a demandé qui était représenté et on lui a répondu que c’était Antoine de Saint-Exupéry sur un ton à décourager toute investigation supplémentaire.
Vous n’étiez donc pas persona grata pour les vôtres, sans doute en partie à cause de votre mariage avec la sulfureuse Consuelo. L’hostilité s’est d’ailleurs poursuivie au-delà de votre mort et on a vu, quand les droits sur vos œuvres ont cessé d’être défendus par votre veuve, la famille avide autoriser la commercialisation de dizaines d’objets, la mise sur le marché du Petit Prince. Pauvre Saint-Ex victime des mercanti !
C’est votre courage, votre goût pour l’action comme votre spiritualité qui font que je me sens proche de vous. Comme il fait bon réentendre les phrases douces qui pansent les blessures de la vie. «  C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante », « on ne connaît que les choses que l’on apprivoise », ou encore : « il y a un puits, quelque part, dans le désert… »
Cette musique apaisante a bercé mon enfance et aussi toute mon existence. Comme vous, je me suis parfois emporté, comme vous sans doute j’ai commis des actes violents, comme vous il m’est arrivé de souhaiter du mal à quelqu’un.
J’ai aimé qu’avant de reprendre du service pour la France vous ayez jugé bon de prendre du recul.
Vous aviez plus de quarante ans lorsque vous avez écrit votre chef d’œuvre, nous fournissant la preuve qu’après les années, les joies, les épreuves, reste au fond de nous l’espérance de l’enfance. J’aime penser cela, à l’heure où des hommes perdus sèment la terreur et ont l’air de n’avoir plus rien d’humain. Ne pas désespérer, chercher en chacun de nos frères ce qui le rapproche de nous. Christian de Chergé qui, comme vous, aimait l’Afrique, a voulu par avance se rapprocher de celui qui allait l’égorger.
Et si, dans la phase finale de ma vie que j’aborde à présent, il m’arrive de me demander à quoi peut bien servir de passer sur terre, vous venez me consoler : « J’y gagne à cause de la couleur des blés ».
Antoine, je vous embrasse. Merci d’avoir été. Merci pour le Petit Prince. Je vous aime.

                                                                                              Armel 2015

jeudi 15 janvier 2015

La fin de la faim

Il était atteint de fringale
L’ornithogale
Il avait enfin
Le bec fin.
Il volait vers les Antilles
Voir ses filles
En mangeant du daim
Mais aussi du boudin
Parfois, il faisait un rêve
(La vie est si brève)
Il se voyait en chevalier,
Droit sur ses étriers,
Il revenait couvert de gloire
Mangeant une poire
A la bouche, un quignon de pain
Tiens, ça sent le sapin
Lui dit sa douce
Qui, au fait, était rousse.
Il s’envola vers l’arbre mort
Et sans remords
Vola au corbeau son fromage,
Présent des rois mages
Il se cacha pour le dévorer
Sans aller plus loin que l’orée
De la forêt magique
D’où venait une douce musique.
L’heure avançait

De son décès ;
L’ornithogale, obèse
Prenait ses aises
Il s’était goinfré tout le jour
En restant sourd
A la voix de la sagesse.
Il vomissait sans cesse
Eclaboussant autour de lui,
Arrosant comme une pluie
Enfin, dans un hoquet suprême
Il dit : Adieu, je vous aime,
Puis s’en alla au paradis
Manger des radis.

Suis-je Charlie ?

Lorsque j’ai appris l’attentat contre Charlie-Hebdo, j’ai été bouleversé comme la quasi-totalité des français. J’ai de nombreux amis et membres de ma famille qui s’indignaient de l’irrespect et de ce qu’ils considéraient comme de l’intolérance de ces dessinateurs contestataires, ultimes sursauts de mai 68. Pour ma part, ils m’avaient bien fait rire, mais je trouvais leur humour un peu vieillissant. Je ne lisais plus leur journal et me serais vite consolé si, faut de lecteurs, il avait fini par disparaître.
Ce qui m’a amené à défiler dimanche, c’est un sursaut : il faut réagir devant les assassins qui sont convaincus d’avoir raison et qui tuent, finalement, parce qu’ils n’ont pas d’arguments valables à opposer. Tuer son adversaire, c’est reconnaître sa force. Une société qui se veut civilisée ne peut tolérer que des personnes blessées dans leurs croyances se fassent justice eux-mêmes. D’ailleurs, même dans leurs propos, il n’est guère question de justice ; plutôt de vengeance. J’ai donc pensé qu’il me fallait réagir pour exprimer mon profond désaccord sur la méthode et espérer que cela contribuera à ramener le calme. Mais je n’y crois guère. Les assassins, s’ils ont provoqué une mobilisation presque unanime de la population contre eux, ont pourtant atteint un de leurs objectifs : renforcer le communautarisme en France. . Depuis une semaine, les juifs se sentent menacés, les musulmans sont victimes d’amalgame.


Je me suis refusé jusqu’à ce jour à exprimer une quelconque opinion à chaud, parce que j’avais peur d’écrire des phrases que je serais amené à regretter par la suite. C’est si facile, sous le coup de l’émotion, la colère par exemple, de se laisser emporter. Un exemple : j’anime un atelier d’écriture et avais envie de proposer comme thème à développer : mettez-vous dans la peau d’un terroriste, racontez pourquoi et comment vous préparez un attentat. Un peu provocateur, dites-vous ? Et alors, la provocation n’est-elle donc acceptable que de la part des gauchistes ? Puis-je rappeler que ceux qui luttent contre l’opinion dominante sont souvent considérés comme des terroristes par le pouvoir en place. Les résistants, les nationalistes algériens, les basques, l’IRA, … S’il l’emporte, le terroriste devient un héros de sa cause. Rappelez-vous l’Hôtel du Roi David De même que Victor Hugo reprochait à Napoléon Bonaparte l’origine de son pouvoir –le coup d’Etat du 18 brumaire- on peut légitimement fustiger les première manifestations juives en Israël, puisque pour obtenir le droit de fonder un pays, ils se sont autorisés à faire usage de la violence aveugle.

Il n’entre pas dans mes intentions de justifier toute forme de violence, je désire juste attirer l’attention sur le risque sue nous courons à se laisser entraîner par son premier mouvement. Je suis d’avis que les religions font par nature courir un danger mortel à la liberté de penser, et donc à la liberté tout court. Convient-il pour cette raison de les proscrire ? Là se trouve le sophisme du libéral qui, à force de soutenir le droit de ses opposants à exprimer une opinion de haine, s’expose à se faire éliminer par eux. On connait le refrain : vous soutenez que tout le monde a le droit de s’exprimer ; je suis en faveur de la censure ; c’est ma façon de m’exprimer et vous devez donc me soutenir. La faiblesse du libéralisme et de la tolérance git là. Proclamer : pas de liberté pour les ennemis de la liberté, c’est ouvrir la porte au totalitarisme. Mais réside aussi là sa grandeur, parce que si je soutiens l’autre, même totalitaire, dans sa liberté à exprimer son opinion, je le combats ardemment pour qu’il n’impose pas sa loi.

Je ne suis pas Charlie, en ce sens que je ne soutiens pas leurs provocations. Il y avait dans leurs dessins une violence réelle. Elle ne justifie pas qu’on les ait tués ; pour autant, je ne me sens pas de leur bord. Je défile, parce qu’il est inacceptable qu’on les ait assassinés. Point.