jeudi 17 octobre 2013

Antoine et sa valise

Dans une valise, on ne peut y mettre un génie, bon ou mauvais. Celle-là, pourtant, devait avoir un contenu magique, pour la simple raison qu’elle était restée close pendant des décennies. Qui l’avait montée au grenier, et quand ? A en juger par son apparence, elle datait d’avant la guerre, peut-être même la première. Ses parois, métalliques, étaient couvertes d’un carton qui avait sans doute des couleurs vives, alors ; elle était à présent d’un vert sale, à l’instar des affaires que des générations avaient entassées dans le grenier où on l’avait oubliée, parce qu’on ne sait jamais… Mais voilà, les années passent et nul ne pense aux trésors oubliés. Au lieu de rafraîchir une robe, de retailler un costume, on en achète des neufs qui finiront aussi là-haut. C’est si vrai qu’on en finit par oublier ces témoins de notre passé au point, si par bonheur un jour nous les ressortons, ,de ne pas même nous rappeler les avoir possédés. Certains, pourtant, évoquent des jours bien précis. Et si, à mes yeux, cette valise dénuée de valeur ne représentait rien, quand ma mère l’aperçut, elle s’écria :

-          Oh ! La valise d’Antoine !

Antoine, c’était son frère, de trois ans plus âgé, qui était mort au front. Ainsi qu’il arrive souvent de ceux qui s’en vont dans la fleur de l’âge, ses proches l’avaient paré de toutes les vertus. S’il avait vécu, c’est sûr, il aurait fini professeur au Collège de France, à l’Académie Française et pourquoi pas au Panthéon. Il n’était pas question de mettre en doute ce dogme. Antoine avait du génie, puisqu’il n’était plus.

A la vue de la valise qui avait appartenu à un frère aimé mort trop jeune, maman n’a pu retenir une larme qui a coulé jusqu’au menton. Nous étions tous les quatre dans le salon, mes deux sœurs, elle et moi. Aucun de nous n’osait ouvrir la valise ; on s’en tenait éloigné, de crainte d’accomplir un sacrilège. Le soir, nous sommes partis nous coucher sans avoir tenté d’aller voir ce qui s’y trouvait. En pleine nuit, un grincement m’éveilla. Je me levai sans bruit et descendis sur la pointe des pieds l’escalier de la maison. Je ne m’étais pas trompé : la lumière, dans le salon, trahissait une présence. J’ai poussé la porte en douceur.

-          Marc ! S’écria Lucienne.

Elle était descendue en chemise de nuit et essayait cde manœuvrer les serrures. Celles-ci résistaient.

-          Tu n’as pas honte ? C’est à Maman de le faire ! Lui objectai-je Elle me jeta un regard où régnait la mauvaise conscience.

-          Je n’en pouvais plus. Il faut savoir ce qu’il y a dedans.

Je renonçai à la critiquer davantage. J’avais trop envie moi aussi de connaître le contenu de ce bagage.

-          Attends, lui dis-je, on va prendre quelques outils pour forcer les serrures.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Un tournevis, une paire de pinces. Fébriles, nous avons soulevé le loquet en forçant le mécanisme. Une odeur de moisi s’échappa. Sur le dessus, un short et deux paires de chaussettes. C’était décevant, après cette attente. Un gros paquet, lourd, se trouvait au fond. Enveloppé dans un drap, nous avons découvert un exemplaire relié d’un roman de Jules Verne : De la Terre à la Lune.

-          Tu crois que c’est un Hetzel ? Demanda Lucienne.

-          Ca ne ressemble pas. On dirait plutôt une édition à bon marché.

Le matin, nous avons dû avouer notre forfait à Maman et à Suzanne, notre autre sœur. Maman s’écria :

-          Ca, c’est une chance ! C’est le volume qui manquait à la collection de votre père !

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