jeudi 10 janvier 2013

En rythme

Un soir, j’étais dans un train. Des yeux étaient en bas, sur le quai… 
Le
Train
S’en
Va
vers
La
ville

Au loin,
La gare.
C’est là
Que j’ai
Inter-
Cepté
Son beau
Regard

Tout à coup,
Dans le bruit
Les roues tournent :
On démarre.
Pas trop tôt !
J’ai rangé
Ma valise.

Une migraine
Me taraudait ;
J’ai essayé
De m’endormir,
Mais rien faire
Ces deux yeux pers
Me poursuivaient.

La locomotive
Rouillée et poussive
Tirait ses wagons.
Assis sur mon siège,
Je passais le temps
A voir, au dehors
Folâtrer les vaches.

J’avais quitté Lucie
Sans lui dire : au revoir
Avais-je des remords ?
Je n’en suis pas très sûr.
Au contraire, dirais-je
Je me sentais léger,
Soulagé d’un grand poids.

La pluie est tombée soudain,
J’ai eu envie de pleurer
Pas sur elle, mais sur moi
Qu’allais-je manger ce soir ?
Qui recoudrait mes boutons ?
J’étais plein de vague l’âme
Quand je m’aperçus alors

Qu’ à côté de moi, une femme
D’âge pas encor canonique
Me jetait la dérobée
Des regards remplis de promesses.
Vous habitez chez vos parents
J’ai demandé la gonzesse :
Elle a alors baissé les yeux

Et m’a répondu d’un ton charmant :
Oui, monsieur et de ce pas je vais
Paris, pour aider des cousins
élever leur progéniture.
C’est qu’ils en ont six, vous comprenez ?
D’elle, bien sûr, j’aurais tout compris
Elle avait un sourire angélique.

J’avais déjà bien oublié Lucie,
Ses regards de braise, et ses oeufs au lait.
Je sentais monter, tout comme au printemps
Une sève ardente et mon coeur plus jeune
Battait la chamade. Ah ! J’étais heureux
Comme on ne l’est plus passé quarante ans.
Plus rien n’existait que cette voisine.

Je lui ai demandé : comment on vous nomme ?
Elle m’a répondu : mon nom, c’est Angèle.
Elle semblait bien venir du paradis
J’ai murmuré plusieurs fois son oreille
Son prénom, doux comme un gage de bonheur
Ma main soudain a pris son indépendance
Et a batifolé sans que je le veuille

Dans l’épaisse chaleur qui régnait sous sa jupe.
Le train roulait toujours mais je n’en avais cure
J’attendais de sa part un peu plus de réserve
Car sa main son tour a passé sur mes jambes
Sans doute elle voulait vérifier quelque chose.
Il se trouvait, assis sur le si ge d’en face
Un curé dont le teint s’est fait toujours plus rouge.
 
Il aurait mieux fait de lire son bréviaire
Plutôt que de nous mater, comme un pervers.
Vous avez un endroit où vivre à Paris ?
Ais-je demandé, plein d’esprit d’à-propos.
Non, chez mes cousins, il n’y a pas de place.
Alors, venez chez moi, je vous y invite.
Elle n’a pas hésité un seul instant
J’ai voulu croire aussitôt que mon charme

Avait encore opéré. J’ai souri
Et j’ai remercié ma bonne étoile
D’avoir sans tarder pansé mes blessures.
Ma deuxi me main a cherché son sein
Sous son chemisier d’écolière sage ;
Elle a reculé. Était-ce pudeur ?
Elle s’est levée alors d’un bond

Et elle a rectifié sa tenue.
Elle a murmuré : pas maintenant.
Les femmes sont des êtres bizarres,
Je le sais depuis ma tendre enfance.
Malgré tout, je n’ai pas réagi :
J’attendais mon heure, en fin stratège
Elle a posé sur moi un regard

Pareil à celui que j’ai vu
Ce matin dans une boutique :
Le boucher lorgnait un morceau
De bifteck en se demandant
Combien il pourrait en tirer.
J’étais le bifteck à présent.
Dans ses yeux, où je croyais

Il n’y a pas longtemps
Voir briller un désir fou,
Je remarquais maintenant
Seulement l’appât du gain.
Pourtant, je l’aurais aimée,
Pour moi, elle aurait appris

A faire la cuisine,
Le repassage aussi
Ah! J’avais des regrets.
La courbe de ses hanches
Que mes mains dessinaient
Il n’y a pas longtemps
J’y penserai toujours.
 
Le train ralentit :
Avant le virage
A mes yeux, des larmes
Montaient peu peu.
Le curé, là-bas,
Ne regardait plus
Y avait rien voir!

J’ai pris un livre
Et l’ai ouvert.
J’ai fait semblant
De bien l’aimer.
J’ai repensé
A ma Lucie

son regard
Il se peut
J’me suis dit
Que demain
Ou après
Je revienne
La trouver.
Elle m’attend.

On va
Moins vite,
J’entends
Les roues
Qui frottent
Les rails
En douce.

C’est
Ça :
Le
Train
Va
être
Là.

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