Une religion vise à expliquer à l’homme d’où il vient, le
pourquoi des choses. Le dessein de Dieu sur la création et sur son destin
répond à toute question. La notion de miracle permet de remplir les vides La science
a bien sûr fait reculer les religions, qui ont défendu et défendent encore un
territoire qui se rétrécit de plus en plus. D’où la difficulté dans laquelle se
trouvent les religions à mettre en évidence la main de Dieu. Jadis, tout ce qu’on
ne comprenait pas relevait de l’action divine. Des petits malins ont découvert
que, le plus souvent, il existe des explications rationnelles et matérielles
aux phénomènes naturels. L’inconnu recule donc, mais il demeure au fond des
fonds des zones floues ou mystérieuses où se réfugient les croyances
religieuses. Le christianisme a dû de force admettre des constructions qui ne
font pas appel au magique pour satisfaire notre curiosité. L’Islam y viendra
sans doute plus tard.
En plus de répondre à nos interrogations sur le monde qui
nous entoure, les religions nous apportent aussi un réconfort en nous
permettant d’envisager la mort sans crainte. L’immortalité de l’âme et la foi
dans une vie éternelle constituent un des fondements essentiels des églises. L’assurance
fournie par la religion de la mort comme passage remplit le fidèle d’espoir et
autorise la hiérarchie de l’église à lui demander soumission et respect sans
faille. La conviction assez naturelle à l’homme qu’il a une âme immatérielle
trouve un prolongement facile dans l’espoir que celle-ci, d’essence autre que
la matière, lui survivra. Bien qu’il nous soit difficile d’appréhender ce que
peut être une existence sans fin, l’espoir d’échapper à la déchéance aide à
vivre nombre d’humains. Selon toute vraisemblance, l’assurance d’une survie
après la mort joue le rôle de sergent recruteur pour les armées célestes. Le
pouvoir des religions – l’opium du peuple – se trouve ainsi renforcé. L’homme
trouve non seulement dans la foi la réponse à tous ses questionnements ;
il se voit par surcroît pourvu d’une assurance la plus absolue. Et pour
reprendre Pascal, qu’importe le prix à payer si l’espérance de gain est infinie ?
Suivant ces endoctrinements qui leur assurent une base
solide dans les populations, les religions construisent des systèmes sociaux et
moraux qui permettent à leurs ministres d’associer à leur pouvoir spirituel un
ensemble d’avantages matériels non négligeables. On voit bien que, selon les
époques, en fonction du pouvoir qu’elles exercent sur les esprits, les
religions prennent une part plus ou moins importante dans la vie de la cité. Depuis
Constantin jusqu’au XIXème siècle, pratiquement toute l’Europe a vécu sous sa
férule : écoles, hôpitaux, état-civil, des pans essentiels de la vie des
sujets lui étaient soumis. Au cours des temps, des frictions se sont fait jour entre
le pouvoir militaire et financier et celui des églises. Les querelles qui ont
suivi la Réforme n’ont pas été sans conséquences sur le pouvoir redoutable qu’exerçait
Rome sur les esprits. Avant les Lumières et la Révolution, on n’imaginait pas
en France de système de pensée, de morale ou de philosophie en dehors de l’Eglise.
Si les religions chrétiennes ont vu reculer leur influence, d’abord en raison
de l’avancée de la science mais aussi en raison d’une prise de conscience chez
beaucoup des ressorts machiavéliques de l’Eglise en tant que structure sociale,
beaucoup d’états vivent encore, dans d’autres confessions, dans une situation
où la religion sous-tend toute action et éclaire tous les mystères.
Reste, dans le fait religieux, un aspect plus secret et plus
difficile à analyser de manière rationnelle. L’homme, qui aime qu’on lui
fournisse des explications, qui a peur de la mort et bien souvent accepte le
joug d’organisations puissantes et tonitruantes, a aussi besoin d’échapper à sa
condition physique ; en témoignent toutes les créations artistiques
auxquelles on peine à trouver des justifications matérielles. Les gens terre à
terre demandent : à quoi sert la poésie ? Que gagne-t-on à encourager
la musique ou la peinture ? Il y a certes des marchés pour les œuvres d’art
mais leur ressort final peut difficilement résider dans la recherche du confort
ou du luxe. Le spirituel et le mystique sont des domaines où s’exerce notre
activité de manière irrationnelle. Les religions aident bien des artistes à
trouver l’inspiration ; elles appuient leurs aspirations à un concept qui
les dépasse. D’où vient, par exemple, que l’essentiel du chant choral soit de
nature sacrée et que dans les musées, une bonne partie des œuvres se réclame de
traditions religieuses ? La religion appartient donc sous cet aspect au
domaine de l’irrationnel, du sentiment et de l’intuition. On parle d’ailleurs
de sensibilité en la matière. Le sentimentalisme est pourtant mal vu des
religieux qui n’y voient qu’une adhésion de surface.
Les lignes qui précèdent, j’ai conscience qu’elles reflètent
mon époque, mon éducation et mon caractère. Leur premier objectif était de m’amener
à examiner où je me situe par rapport à la religion. Je les diffuse pour ouvrir
un débat et dois bien avouer qu’après ces efforts d’introspection et d’analyse,
je ne suis guère plus avancé.
Reugny,
le 2 janvier 2016
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